Canal+ ne veut pas voir les chaînes gratuites (TF1, M6, France 2, …) faire du payant, Salto compris

Avant que l’Autorité de la concurrence ne rende dans quelques mois sa décision sur le projet Salto (plateforme de SVOD initiée par France Télévisions, TF1 et M6), le groupe Canal+ – par la voix de son directeur des antennes Gérald-Brice Viret – s’oppose à ce que les chaînes gratuites fassent du payant.

« Il ne faudrait pas que les éditeurs de télévision gratuite, privée comme publique, en profitent pour devenir de facto payants sur ces nouveaux modes. Finalement, le linéaire gratuit ne serait plus qu’une fenêtre en clair, partielle et résiduelle. Il s’agit de faire très attention et de ne pas déstabiliser les éditeurs (de chaînes) payants », a mis en garde Gérald-Brice Viret (photo), directeur général des antennes de Canal+, qui était l’invité d’honneur d’un dîner-débat organisé le 20 février dernier au Sénat par le Club audiovisuel de Paris (CAVP).

« On fut assez estomaqué » (Gérald-Brice Viret)
Le groupe Canal+, dont la chaîne cryptée née il y a 35 ans perd des abonnés en France (lire EM@ 206, p. 3 et voir p. 11), est vent debout contre le projet de plateforme de SVOD de France Télévisions, TF1 et M6 (1). Pour le directeur des antennes de la filiale audiovisuelle de Vivendi, il n’est pas concevable que les chaînes gratuites du public et du privé se mettent à faire aussi du payant au nez et à la barbe des chaînes payantes. « On a été assez estomaqué d’entendre qu’il y avait un projet de plateforme et on l’a été encore plus lorsque l’on nous a expliqué que France Télévisions allait faire payer les contenus à nos concitoyens… Donc là, les bras nous en sont tombés ! », a raconté le directeur des antennes Canal+, C8 (ex Direct 8), CStar (ex-Direct Star/D17) et CNews (ex iTélé). Ce projet de plateforme de SVOD est non seulement en contradiction avec le fait que les Français paient déjà la redevance (reconduite par
la loi de finance 2019 à 139 euros en métropole et 89 euros outremer), mais il arrive
en concurrence frontale avec les chaînes payantes. « Mais nous pensons que les chaînes payantes doivent être payantes et que les chaînes gratuites doivent être gratuites. Cette idée de plateforme payante, qui mélange de gratuit et de payant, je
n’y crois pas ! », a martelé Gérald-Brice Viret devant un parterre de producteurs et d’éditeurs audiovisuels. Et de prévenir : « Je demeure un militant de la diversité des modèles économiques – privé, public, payant – avec un point de vigilance : la digitalisation et la délinéarisation ne doivent pas conduire à un changement subreptice du contrat des chaînes gratuites avec le public ». Déjà menacées par la plateforme mondiale de SVOD de l’américain Netflix, Canal+ et toutes les chaînes payantes ne veulent pas être en plus mises en danger par un Salto lancé par les grandes chaînes gratuites françaises tentées à leur tour par le payant. D’après Gérald-Brice Viret, qui
fut jusqu’en décembre 2015 président de l’Association des chaînes conventionnées éditrices de services (AcceS), les chaînes thématiques [payantes] cumulent près de
12 % d’audience. Sur l’offre Canal+, elles sont à 24 % d’audience : c’est un poids économique de près de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires (par an), de 8.000 emplois (sans compter les induits). « C’est un succès qui tient en un mot : la différence, à l’heure où le risque de l’uniformisation progresse », s’estil félicité devant le CAVP. Autre problème soulevé par Canal+, celui des droits de diffusion en replay accordés aux chaînes gratuites sur les œuvres cinématographiques et audiovisuelles. « La gratuité de leur offre peut s’étendre sur sept jours [en replay après la diffusion à l’antenne, ndlr], voire à trente sur ces nouveaux modes de consommation, mais cette offre doit rester gratuite », a prévenu Gérald-Brice Viret.
Surtout que l’audience de la télévision de rattrapage est en train de devenir massive (2). Même s’il estime qu’il est légitime aujourd’hui que les éditeurs de chaînes demandent, en plus, des droits qui englobent davantage de diffusion linéaire et non linéaire, il est aussi tout à fait légitime que les téléspectateurs puissent bénéficier sur les nouveaux modes de visionnage des mêmes régulations protectrices que sur la diffusion linéaire. France Télévisions, par exemple, souhaite acquérir des droits de diffusion des œuvres au-delà de sept ou trente jours (sur six mois ou un an ?) pour les rendre gratuites ou payantes en ligne, y compris sur Salto (3). Mais pour le groupe Canal+, l’extension des droits délinéarisés reste cohérente pour les chaînes payantes mais pas pour les chaînes gratuites qui doivent, selon lui, rester à sept voire trente jours maxi. C’est ce que Gérald- Brice Viret avait déjà exprimé le 27 octobre 2014 lors son précédent dîner-débat devant le CAVP (4).

Réunir Salto, MyCanal et Molotov ?
A la place de Salto, Canal+ verrait plutôt MyCanal consacré comme « plateforme française ». Et de Gérald-Brice Viret d’être songeur : « Après, je ne suis pas dans le secret des dieux pour savoir si l’on peut négocier ou proposer que notre plateforme
soit la plateforme française. (…) On parlait de Salto, de MyCanal, de Molotov, etc… Pourquoi pas ne pas se mettre autour d’une table et réfléchir ? ». A suivre. @

Charles de Laubier