En un an, le revirement de Martin Bouygues sur sa filiale télécoms a été des plus spectaculaires

En février 2015, l’héritiez de l’empire Bouygues affirmait mordicus qu’il était hors de question de céder sa filiale télécoms – « Vous vendriez votre femme, vous ? ». Mais Martin Bouygues a depuis retourné sa veste pour vendre à la découpe l’un des bijoux de famille mal en point. Quitte à pactiser avec Orange.

« Bouygues Telecom poursuit la mise en place de son plan de transformation (…) visant à lui garantir un avenir autonome. De plus, le groupe n’a reçu à ce jour aucune offre de rachat pour sa filiale Bouygues Telecom ». C’était, souvenezvous, ce qu’avait assuré Martin Bouygues (photo), PDG du groupe éponyme, en août 2014, soit quelques mois après avoir échoué dans un projet de rapprochement entre Bouygues Telecom et SFR. Vivendi avait alors préféré finalement vendre SFR à Numericable (Altice).

Du stand alone à la dissolution
Et il y a encore un an, alors que les marques d’intérêt d’Orange et d’Altice pour Bouygues Telecom se faisaient insistantes, Martin Bouygues avait une nouvelle fois brandi le drapeau de l’indépendance de sa filiale télécoms : « Nous sommes beaucoup courtisés, comme tous les opérateurs du monde. Mais il n’y a aucune négociation en cours. Le choix, c’est le stand alone ; on a été très clairs là-dessus. Bouygues Telecom dispose d’un portefeuille de fréquences exceptionnel et peut donc parfaitement poursuivre son chemin seul », avait-il déclaré fin février 2015. Martin Bouygues avait même lancé lors de la présentation des résultats financiers : « Vous vendriez votre femme, vous ? ». C’était il y a douze mois. Avec Orange, les premières discussions
en 2014 avaient achoppées sur le prix « trop élevé » qu’en demandait Bouygues. Depuis la fin de l’an dernier, l’héritiez du groupe familial de BTP et de communication a fait un revirement spectaculaire sur l’avenir de Bouygues Telecom en réengageant des discussions avec Orange – comme l’avait révélé l’agence Bloomberg le 8 décembre, pourtant aussitôt démentie par Bouygues (« Aucun projet de sortie des secteurs des télécoms et de la télévision »). Après des rumeurs persistantes et des révélations du Canard Enchaîné le 29 décembre mêlant TF1 aux négociations entre Orange et Bouygues, les deux groupes se sont résolus à confirmer leurs discussions le 5 janvier 2016. La maison mère de Bouygues Telecom s’est, elle, fendue d’un communiqué ambigu : « Intéressé par tout schéma qui lui permettrait de conforter son ancrage durable dans les télécoms, Bouygues annonce que des discussions préliminaires ont été engagées avec Orange pour explorer toute éventuelle opportunité ». Il n’est alors plus question d’indépendance, ni de pouvoir poursuivre en cavalier seul dans les télécoms. Martin Bouygues est maintenant prêt au démantèlement de sa filiale que se partageraient ses trois concurrents : l’ex-France Télécom, le groupe SFR-Numericable et Iliad- Free. Quel revirement de situation ! Alors qu’il y a un an encore, ne voulant pas sacrifier ses télécoms sur l’autel de la concentration à trois opérateurs (1), il se disait confiant dans l’avenir de Bouygues Telecom: « Nous avons été en enfer durant quatre ans ; on a voulu nous tuer, mais ça a raté ! », ironisait-il. Bouygues Telecom était alors bien vivant… lui-même d’ailleurs aussi (2). Maintenant, c’est « Bouygues Telecom est mort, vive… Orange ! ».
Vingt-deux ans après avoir créé cette filiale télécoms, Martin Bouygues est décidé à délester son groupe de cette activité moribonde (59 millions d’euros de perte nette
en 2015, en hausse de 30 %). Quelle fin cynique pour « le petit poucet » (3) qui avait bousculé dès le milieu des années 1990 le marché français alors encore dominé par l’ancien monopole France Télécom. Qui aurait pu imaginer qu’un jour Bouygues aurait été prêt à dissoudre ses télécoms dans Orange, dont il espère avoir en contrepartie
une participation de 15 % du capital – aux côtés de l’Etat français qui détient actuellement 23 % ?
Ce dernier souhaite en tout cas rester « l’actionnaire de référence » de l’opérateur historique et, sans être trop dilué, limiter les prétentions de Martin Bouygues, lequel valorise « son bébé » plus de 10 milliards d’euros (4). Le PDG d’Orange, Stéphane Richard, doit faire en sorte que ce projet de « rapprochement » n’aboutisse pas à des licenciements – comme l’exige l’Elysée. Il espère du même coup réorienter à la hausse la valorisation boursière de son groupe après avoir subi une décote depuis l’arrivée du quatrième opérateur mobile Free début 2012.

Décision attendue en mars
Les négociations du trio Orange-Etat-Bouygues – auxquels il faut ajouter l’Autorité de
la concurrence (5) – devraient prendre encore « quelques semaines » et ont « 50 % de chances d’aboutir », selon Stéphane Richard le 16 février. Une décision est maintenant attendue en mars. Martin Bouygues a beau dire que sa filiale télécoms continuera seule son chemin en cas d’échec de ces négociations, mais qui peut vraiment le croire maintenant… Egalement en recul, la filiale TF1 subira-t-elle le même sort ? Allez savoir… @

Charles de Laubier