Derrière le bras de fer Amazon-Hachette, le livre numérique remet en cause le prix unique

Amazon bouscule le monde de l’édition et la politique du prix unique du livre en voulant vendre moins chers les ebooks par rapport à leurs équivalents imprimés. Des éditeurs et des auteurs se rebiffent. La France monte au créneau. Pourtant, les lecteurs veulent des ebooks plus abordables.

Après la musique et le cinéma, le livre est confronté à la concurrence – voire à la cannibalisation – de ses versions physiques par leurs équivalents dématérialisées.
Le livre imprimé ne sortira à son tour pas indemne de cette révolution numérique, à l’instar des CD ou des DVD pour la musique et la vidéo. C’est inéluctable : les ventes de livres « papier » vont être appelées à décliner au profit des ebooks. Cette dématérialisation induit une désintermédiation qui, là aussi, immanquablement, aura
un effet sur la baisse des prix au profit des consommateurs, étant donné que les coûts d’édition papier, de stockage et de distribution n’existent plus.

Casser les prix des ebooks
C’est sur ces bases qu’Amazon milite en faveur de la baisse des prix des livres numériques, pour les vendre pas plus de 9,99 dollars contre par exemple 12,99 à
19,99 dollars exigés par la filiale américaine Hachette Book Group (HBG) de Lagardère – avec laquelle il est en conflit sur cette question depuis le printemps dernier.
La Commission européenne a annoncé début juin qu’elle examinait ce contentieux, tandis que la France – pays de la « loi Lang » du 10 août 1981 instaurant le « prix du livre » – tire à boulet rouge sur le géant américain du e-commerce.
Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et de la Communication, avait dénoncé – dans un entretien au Monde publiée le 12 août dernier – les « pratiques inqualifiables et anticoncurrentielles » du groupe Amazon. « C’est un abus de position dominante et
une atteinte inacceptable contre l’accès aux livres. Amazon porte atteinte à la diversité littéraire et éditoriale », a-t-elle insisté. C’était deux jours après qu’aux Etats-Unis, dans une tribune publicitaire publié en pleine page dans le New-York Times daté du 10 août, près d’un millier d’auteurs réunis au sein de l’organisation Authors United (1), aient dénoncé les pratiques d’Amazon envers Hachette. Sous la forme d’une « lettre à nos lecteurs », ils s’insurgent contre les discriminations dont ferait l’objet la filiale américaine de Lagardère : « Boycott des auteurs d’Hachette, refus de tarifs réduits, livraisons ralenties, incitation à préférer d’autres auteurs que ceux d’Hachette » (2). Ce fut la réponse du berger à la bergère, Amazon ayant la veille lancé Readers United (3).
Le 18 août, ce fut au tour de plus d’un millier d’auteurs en Allemagne de lancer une pétition contre Amazon (4). Aurélie Filippetti s’était défendue de venir spécifiquement au secours du français Lagardère contre l’américain Amazon. « Les auteurs qui ont signé la tribune [dans le New York Times] ne sont pas tous publiés par Hachette, ils ont simplement conscience de l’intérêt général. Pour ma part, je défends l’écosystème du livre en entier, pas un acteur en particulier », avait-elle précisé.
Ce n’était pas la première fois que l’ex-ministre de la Culture et de la Communication s’en prennait au géant du e-commerce. Dans un entretien au Républicain Lorrain daté du 30 juin 2013, elle avait déclaré : « Je ne cesserai jamais de m’insurger contre ces pratiques [il est alors question de dumping fiscal, ndlr] parce qu’elles sont destructrices d’emploi, destructrices de culture, destructrices de lien social, parce que faire mourir les petites librairies dans les centres-villes, c’est une catastrophe ».

Reste que la question de prix réduits pour les livres numériques par rapport à leurs équivalents papier va continuer de se poser. Pourquoi acheter un ebook à prix unique élevé, alors que son prix de revient est bien moindre que pour l’édition imprimée ?
« Le public attend clairement une différence de prix de l’ordre de 40 % ou 50 % »,
a expliqué le Centre d’analyse stratégique (5) du Premier ministre, dans une étude publiée en mars 2012 (6). En France, les éditeurs ont obtenu la TVA réduite pour les livres numériques (7) et prétendent appliquer des rabais suffisants sur ces ebooks de l’ordre de 20 %. En toile de fond, c’est la loi de 1981 – il y a 33 ans ! – qui pose problème. Yves Michaud, philosophe, déclarait dans Marianne le 20 décembre dernier : « Le prix unique du livre est un archaïsme (…) à l’époque d’Internet et des tablettes ». Interdire tout discount de plus de 5 % sur les livres, y compris numérique depuis la loi du 26 mai 2011, a-t-il encore un sens aujourd’hui, à l’heure des Internet Natives ? Les pratiques émergentes de streaming, d’abonnement en ligne et d’offres illimitées à des ebooks (Kindle Unlimited lancé en juillet, Izneo, Youboox, …) ne remettent-elles pas ces rigidités tarifaires ? Sans doute.

Combat d’arrière-garde Pour l’heure, la France semble s’être installée dans un combat d’arrière-garde. Le gouvernement a fait voter au Sénat le 26 juin dernier une loi dite
« anti-Amazon » (8) qui interdit à ce dernier de cumuler la réduction de 5 % sur les
prix uniques des livres papier avec la gratuité des frais de port. Du coup, Amazon facture 1 ct d’euro l’envoi ! @

Charles de Laubier