Jean-Paul Baudecroux, groupe NRJ : « D’ici à trois ans, la télévision pèsera autant que la radio »

C’est l’une des rares fois que le président fondateur du groupe NRJ s’exprime
dans la presse sur l’avenir audiovisuel de son groupe, sur la 2e radio de France,
sur Chérie HD prévue fin 2012, sur la RNT et sur le potentiel des 150 webradios.
Il évoque aussi pour EM@ ses 30 ans de « radio libre ».

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : La libéralisation de la bande FM a
30 ans et vous avez, à l’époque, créé la radio libre NRJ dans une chambre de bonne du XXe à Paris : quel regard portezvous sur ces trois décennies ?
Jean-Paul Baudecroux :
Je n’ai pas l’impression que cela fait 30 ans, mais plutôt 10 ans ! Car tout s’est enchaîné très vite et, pris par l’action, je n’ai pas vu le temps passer. J’éprouve une relative satisfaction, parce que mon analyse s’est révélée exacte. Au début, personne ne croyait en l’avenir des radios libres. C’est vrai que, lorsque la publicité était interdite au début, cela n’était pas évident. Il fallait d’abord survivre. Puis, tout est allé très vite. Il a fallu développer l’entreprise – avec beaucoup de difficultés quand même. J’ai dû me battre évidemment contre les concurrents, les grandes radios RTL et Europe 1 de l’époque, qui faisaient tout pour nous écraser dans l’œuf, me battre aussi contre les autorités qui n’ont pas toujours été très visionnaires… Mais je ne pensais pas en arriver à un groupe de cette taille-là (1), car chaque jour était une victoire. Pour finir, la ténacité, ça paye toujours. Comme quoi, si c’est une leçon qui peut servir à de jeunes entrepreneurs, il faut croire en ses idées, « Never give up ! », comme disent les Américains, ne jamais abandonner, ne jamais lâcher prise et puis se battre.

EM@ : Aujourd’hui, la station NRJ – 2e radio de France – réalise la plus forte progression des radios (nov.-déc. 2011, selon Médiamétrie) : comment expliquez-vous la croissance de la radio malgré les CD, le MP3, les podcasts et le streaming ?
J-P. B. :
Avec 6 millions d’auditeurs par jour, la radio NRJ talonne la première [RTL, ndlr]. Vous savez, la radio a plus de 100 ans. Et à chaque fois qu’il y a eu une nouvelle évolution technologique, on a dit : « C’est fini, la radio va mourir » ! A l’époque, ce fut avec les K7. Puis, dans les années 80, avec les Walkman. Plus récemment, au début des années 2000, il a eu les iPod. A chaque fois, on a dit que c’était la mort de la radio.
Je crois au contraire que la radio – vieux média – n’a jamais été aussi moderne avec
un tel potentiel de croissance. Grâce à ce que l’on appelle la « génération S », comme « Smarphone », grâce à Steve Jobs, la radio est aujourd’hui dans la poche de 40 % des Français et de 100 % demain (2). Cela crée de nouvelles opportunités d’écoute, que cela soit sur l’Internet fixe ou sur l’Internet mobile. La radio est irremplaçable, car elle
ne diffuse pas seulement de la musique, mais aussi de l’information, de la proximité,
du local, et de l’entertainement. Et ça, un iPod ne le remplacera jamais ! L’Internet est
le meilleur ami de la radio. Il crée de nouvelles audiences, comme au travail où l’écoute de la radio n’existait pas. Grâce au Net, on voit très bien que la radio a un deuxième prime time à partir de 9 heures du matin, jusqu’à 17 heures. Je suis très optimiste, à condition que la radio reste elle-même, qu’elle n’essaie pas de copier des Deezer ou autres.

EM@ : NRJ Group est le 1er groupe radiophonique privé français, mais est
aussi groupe de télévision. La télévision (plus forte croissance des activités avec + 24,3 % sur un an) va-t-elle supplanter à terme la radio ?
J-P. B. :
Nous sommes encore aujourd’hui un petit groupe de télévision, avec trois chaînes, une nationale avec NRJ 12, une locale avec NRJ Paris et la première chaîne musicale du câble, du satellite et de l’ADSL avec NRJ Hits. Cela représente environ
20 % du chiffre d’affaires du groupe en 2011, mais l’équivalent de la moitié de celui des radios nationales. Avec Chérie HD, la chaîne gratuite en haute définition que le CSA vient de retenir (3), mon souhait est qu’à terme – le plus vite possible d’ailleurs, dans
un horizon de trois ans – la télévision représente 50 % du chiffre d’affaires du groupe. Cela nous donnera alors deux moteurs, deux jambes. Le pôle de télévisions nationales (NRJ 12 et NRJ Hits) a déjà atteint l’équilibre financier en 2011. Chérie HD sera lancée avant la fin de l’année et nous prévoyons qu’elle sera à l’équilibre financier dans quatre à cinq ans. Elle nécessitera des investissements supplémentaires, mais nous allons faire jouer des synergies (plateau, régie finale, full-HD, …).

EM@ : Les deux autres projets de chaînes HD, My NRJ et Nosta la TV n’ont, en revanche, pas été retenus par le CSA : allez-vous en faire des webTV ?
J-P. B. :
Non, parce que l’on a vu – avec les quatre webTV que nous avons déjà (NRJ Pop Rock, NRJ Dance, NRJ Pure et NRJ Groove) – que cela ne marche pas très fort
en termes d’audience. Comparé aux webradios, c’est marginal. Il n’y a donc pas de projet pour l’instant de faire de My NRJ et de Nosta la TV des webTV.

EM@ : En revanche, les webradio marchent fort : combien avez-vous de radios sur le Net ? Doivent-elles bénéficier de la licence légale comme les radios hertziennes ? Leur faut-il un accord de gestion collective des droits musicaux ?
J-P. B. :
Nous avons maintenant plus de 150 webradios sur les quatre marques que sont NRJ, Chérie FM, Nostalgie et Rire & Chansons. Elles se développent bien. Cependant, la « radio premium » – c’est-à-dire le simulcast de la FM (4) – reste évidemment archi-dominant. Pour la licence légale étendue aux webradios, je n’ai pas un avis tranché aujourd’hui. C’est encore très nouveau ; il faut peut-être attendre que le marché de la radio sur Internet se décante. Faut-il atomiser le paysage radiophonique ? Je ne sais pas. Quant aux sociétés de gestion collective des droits musicaux, elles doivent être pragmatiques et laisser « la poule pondre »… Il ne faut pas compter les œufs dans le cul de la poule ! L’industrie musicale et les ayants droits doivent laisser ces nouveaux usages se développer avant de les taxer. En 1981, lorsque j’ai démarré
NRJ, la Sacem a été très intelligente et pragmatique. Au lieu de me taxer tout de suite, elle a au contraire laissé la FM se développer et les radios libres trouver leur modèle économique. Cela a pris plusieurs années, d’autant que la publicité était interdite les trois premières. Et bien lui en a pris : la Sacem perçoit aujourd’hui beaucoup d’argent des radios [52 millions d’euros en 2011, +9,8 % sur un an, ndlr]. Il faudrait que toutes les « caisses de perceptions » (Adami et les autres) cessent de vouloir taxer des entreprises en devenir.

EM@ : Le 13 mars, le CSA a annoncé le lancement de la RNT en 2012 à Paris, Marseille et Nice (reportée depuis 2009). NRJ fut un des grands perdants avec NRJ Dance, Chérie Zen et Nostalgie Classiques 80 : croyez-vous encore en la RNT ?
J-P. B. :
Autant nous n’avions malheureusement pas bénéficié de « chaînes bonus » sur la TNT, contrairement aux opérateurs historiques de télévision (comme W9 pour M6), autant la loi prévoit que les radios analogiques existantes aient un droit de priorité sur
la radio numérique hertzienne NRJ Dance, Chérie Zen et Nostalgie Classiques 80 n’avaient, en effet, pas été retenues en 2009 pour la RNT, mais nous les avons transformées en webradios. Aujourd’hui, la RNT ne marche nulle part, parce qu’elle arrive trop tard sur une norme obsolète [le T-DMB, ndlr]. Elle a été lancée par certains pays avec des subventions publiques, comme en Grande-Bretagne avec la BBC, ou privées, comme en Allemagne où les fabricants d’autoradios ont financé à hauteur de 80 %. Depuis que la RNT a été lancée en Grande-Bretagne il y a 15 ans, seulement 15 millions de récepteurs numériques ont été vendus (seuls 2 % des voitures équipées) et l’audience n’atteint que de 20 %. Est-ce un succès ? Avec les radios sur IP, la RNT est déjà un peu démodée.
En France, tous les formats de radio sont satisfaits (musiques, information, rire, etc). Quel est alors l’intérêt d’aller s’équiper d’un appareillage qui fera à peine mieux que la FM ? Cependant, cela ne nous empêche pas de regarder de façon pragmatique : de nouvelles normes sont apparues [le DVB-T en particulier, ndlr] qui permettrait de faire de la RNT en France à des coûts moindres.

EM@ : Serez-vous présents en RNT dans la bande L, qui a fait l’objet d’un appel
à candidatures pour la distribution de services de RNT avec données associées
au programme, navigation en mobilité ou téléchargement de fichiers audio ?
J-P. B. :
Oui. Nous avons discuté avec les deux opérateurs candidats de bouquets de radios – la société toulousaine Onde Numérique et la filiale de TDF, Mediamobile. Nous serons présents sur celui qui sera sélectionné. En tant que passager, ce n’est pas nous qui assumerons les coûts de diffusion.

EM@ : Quant à la TMP, pour laquelle NRJ 12 a été retenu en mai 2008, sera-t-elle lancée ?
J-P. B. :
Je l’ignore à ce jour.

EM@ : La radio NRJ est la 11e application mobile avec 3,5 millions de visiteurs
en février 2012, selon l’OJD. Qu’en est-il de la catch up radio ? Les applications « Watch » (NRJ 12 et NRJ Paris) et « Listen » sur Facebook démarrent-elles bien ?
Et la TV connectée ?
J-P. B. :
A ce jour, l’application mobile NRJ a été téléchargée plus de 5 millions de
fois sur smartphone (5). En revanche, la catch up radio ne concerne que les radios généralistes et leurs programmes parlés, car il est difficile pour les radios musicales
de faire de la radio de rattrapage pour des problèmes de droits d’auteur. Sur la TV connectée, nous avons été parmi les premiers à y croire avec la chaîne NRJ 12, qui
est désormais présente [avec NRJ Replay, ndlr] chez tous les fabricants de téléviseurs connectés. Son audience augmente sur tous les canaux de distribution, TV connectée comprise. NRJ Hits et NRJ Paris y sont présentes aussi. Sur le réseau social Facebook, où nous avons lancé en janvier dernier nos applications, ce fut une première pour un média français. Mais il est trop tôt pour avoir un retour d’expérience. Tous ces nouveaux médias nécessitent des investissements qui, pour l’instant, sont à perte. On est encore loin d’être à l’équilibre pour les webradios qui coûtent très cher en programmateurs, bande passante, serveurs et informatique. On vise quand même un équilibre financier à un horizon de trois ou quatre ans.@