Piratage sur Internet : après la musique et le cinéma, le livre s’apprête à « rejoindre » l’Hadopi

Alors que les premiers résultats chiffrés de la « réponse graduée » sont bien en-deçà des objectifs initiaux des ayants droits de la musique et du cinéma, lesquels visaient ensemble jusqu’à 125.000 avertissements par jour, le Syndicat national
de l’édition (SNE) se prépare à saisir la Cnil pour pouvoir faire appel à son tour
à l’Hadopi.

L’année 2011 sera marquée par le ralliement d’autres industries culturelles au dispositif de la « réponse graduée » de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et pour la protection des droits sur Internet (Hadopi). Car la loi Création & Internet, assortie de son volet pénal, n’est pas réservée à la musique et au cinéma. Le jeu vidéo à travers le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisir (SELL), le logiciel représenté par la Bureau Software Alliance (BSA), le livre via le Syndicat national de l’édition (SNE), voire la photo ou la presse avec leurs organismes professionnels, peuvent disposer de leurs « agents habilités et assermentés » (1) respectifs pour saisir à leur tour la commission de protection des droits (CPD) de l’Hadopi. Or, selon nos informations, le SNE vient de lancer le processus de sélection d’une technologie de surveillance des livres numériques sur Internet et prépare son dossier de lutte contre le piratage. Et ce, en vue de le déposer à la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) qui attribue les autorisations pour collecter les adresses IP de contrevenants – comme ce fut le cas l’an dernier avec la solution TMG retenue par la musique et le cinéma (2) (*) (**). « Le SNE envisage de rejoindre l’Hadopi, mais n’a pas encore fait de demande d’autorisation auprès de la Cnil. Nous allons d’abord auditionner les prestataires techniques possibles à partir de la mi-janvier. Ensuite seulement, cette demande d’autorisation pourra le cas échéant être déposée », indique Christine de Mazières, déléguée générale du Syndicat nationale de l’édition (SNE), à Edition Multimédi@.
Le téléchargement gratuit et illégal de « La carte et le territoire » de Michel Houellebecq, durant un mois à l’automne dernier, a démontré que les maisons d’éditions n’étaient pas non plus à l’abri du piratage de grande ampleur sur Internet. L’éditeur du prix Goncourt 2010, Flammarion, a décidé de contre-attaquer en justice pour contrefaçon mais ne peut pas encore saisir l’Hadopi via le SNE. Il y a urgence.
Les livres numériques en France devraient dépasser les 3 % des ventes cette année. En octobre dernier, l’Observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de-France (Motif) avait dressé le portrait-robot du pirate de livres numériques après avoir interrogé une trentaine d’adeptes du téléchargement illégal d’ouvrages : 29 ans en moyenne, gros lecteurs de livres imprimés, rebuté par le prix des livres dans les offres légales. Et d’ici le Salon du livre (18-21 mars), le Motif va publier un premier « tableau de bord » du piratage des e-books.

SCPP, SPPF, Sacem, SDRM et Alpa déçus ?
Quoi qu’il en soit, et avant même de savoir si tout le dispositif de réponse graduée est vraiment efficace, d’autres industries culturelles fourbissent leurs armes anti-piratage. Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la CPD a indiqué lors d’un point presse le
12 janvier que « le champs d’action de l’Hadopi pourrait s’élargie avec le livre numérique, le logiciel ou encore le jeu vidéo ». Et elle a précisé : « Il faudra au moins un an ou dix-huit mois à plein régime avant de dresser un bilan sur l’efficacité du dispositif [de la réponse graduée]. Soit la pédagogie marche et la CPD – qui n’a pas vocation à être pérenne – disparaît, soit cela ne marche pas et le législateur pourrait passer à autre chose ».
Pour l’heure, la Haute autorité présidée par Marie-Françoise Marais (notre photo) a
beau avoir un an d’existence, elle n’agit que depuis trois mois seulement. C’est le lundi
10 janvier qu’elle a exposé aux cinq organisations représentant les ayants droits de la musique (SCPP, SPPF, Sacem, SDRM) et du cinéma (Alpa) le premier bilan de son action du 1er octobre au 31 décembre avec une « montée en charge volontairement progressive » : « un peu moins de 70.000 recommandations », entendez e-mails d’avertissement, ont été envoyées en trois mois aux internautes pirates, sur « un peu moins de 100.000 demandes d’identification » des ayants droits expédiées aux cinq fournisseurs d’accès à Internet (FAI) que sont Orange, SFR, Free, Bouygues Telecom et Numéricable. « Nous avons peut-être pêché par excès de prudence », a concédé Mireille Imbert-Quaretta.
La CPD a cependant promis aux ayants droit qu’elle passera de 2.000 envois d’avertissements par jour à 10.000 envois par jour d’ici la fin de premier semestre 2011, puis « sans limite » après fin juin grâce à un système d’information « automatisé ». A cela s’ajouteront les deuxièmes avertissements avec lettres recommandées qui seront expédiés aux récidivistes. « Nous avons depuis fin 2010 des réitérations. Nous allons envoyer la seconde recommandation qui est le début de la phase pénale », a prévenu
la présidente de la CPD. C’est la “seconde phase“ de la réponse graduée qui va donc démarrer « début de 2011 ». Reste à savoir si les filières musicale et cinématographique – qui envoient à l’Hadopi 70.000 saisines par jour – sont satisfaites des trois premiers mois d’activité de la CPD à l’Hadopi. Les premiers résultats sont-ils à la hauteur de leurs attentes dans la lutte contre le piratage ? « Nous estimons que ce n’est qu’à la fin de 2011 que nous pourrons réellement commencer à faire un premier bilan de son activité », répond Marc Guez, directeur général de la SCPP (3), à Edition Multimédi@. Et d’affirmer : « La montée en charge de l’Hadopi nous satisfait. (…) La prudence de la CPD est celle qui est requise pour toute procédure judiciaire ». De son côté, Thierry Desurmont, vice-présisent de la Sacem et directeur général de la SDRM (4) nous dit seulement que « le Midem [Marché international de la musique et de l’édition musicale, ndlr] sera certainement l’occasion pour la filière musical de s’exprimer sur le sujet ». Mais à ce stade, il ne souhaite pas s’exprimer. La SPPF (5) et l’Alpa (6), elles, n’ont pas répondu à nos sollicitations. On n’en saura probablement pas vraiment plus lors du 45e Midem, qui se déroulera à Cannes du 23 au 26 janvier. Cependant, la déception de certains ayants droit – qui ne souhaitent pas communiquer – est palpable. Bien qu’ils soutiennent « sans équivoque » l’Hadopi dans son action, force est de constater que les premiers volumes d’avertissements envoyés aux internautes ne sont pas à la hauteur de leurs attentes initiales. Les cinq organisations avaient en effet obtenu de la Cnil la possibilité de dresser ensemble un total maximum de 125.000 procès verbaux d’infractions par jour, soit quotidiennement 25.000 saisines possibles de l’Hadopi pour chacune d’entre elles (7). Et ce, grâce à leurs « radars » TMG autorisés par la Cnil il y a plus de six mois et positionnés sur les réseaux peer-to-peer (8). Et cela faisait plus de trois ans que les ayants droits de la musique et du cinéma attendaient avec impatience un tel dispositif.

L’Hadopi doit encore faire ses preuves
Dès la divulgation confuse des premiers chiffres fin décembre (9), l’Hadopi est
accusée d’« inertie » au démarrage « laborieux ». Réplique immédiate de Mireille Imbert Quaretta et deux autres membres de la CPD dans une tribune publiée par
« Le Monde » fin décembre (10) : « Pas question de “faire du chiffre“. Le curieux reproche d’inertie est infondé ». Reste à savoir si le président de la République lui-même, qui vient de promouvoir Marie- Françoise Marais officier de la Légion d’honneur (11), est satisfait de la réponse graduée qu’il a appelée de ses vœux. Rappelons juste que Nicolas Sarkozy avait réuni le 16 décembre dernier à l’Elysée des acteurs du Net – dont Xavier Niel, le dirigeant fondateur de Free – très critiques sur la loi Hadopi qu’ils considèrent « inefficace ». Le chef de l’Etat, qui va présenter ses vœux à la Culture le 19 janvier, serait disposé à la rendre « plus présentable » (12). Après l’Hadopi 1 et 2 de 2009, il serait question d’une Hadopi 3. Avec ou sans la CPD ? @