E-commerce à revendre

Acheter, vendre, échanger, troquer, remiser, comparer, marchander, enchérir… à l’heure du e-commerce triomphant, toutes les formes d’échanges ont été, à un moment ou à un autre, touchées et transformées, allant jusqu’à lentement éroder et rendre obsolète le modèle longtemps dominant de l’hypermarché. Les structures du commerce n’évoluent que lentement, et sur plusieurs générations. La forte croissance du chiffre d’affaires de la vente en ligne, de plus de 20 % par an autour de 2010, ne doit pas occulter le fait qu’elle ne représentait alors que moins de 5 % du total du commerce de détail. Actuellement, dix ans après, cette part dépasse les 20 %. Si les formes classiques du commerce ont donc encore de beaux jours devant elles, il est désormais assuré que la transformation en profondeur du commerce est en marche. Les conditions de cette évolution sont pourtant anciennes.

« Des sites de e-commerce rendent accessibles des pratiques autrefois réservées aux seuls initiés : ventes privées, cashback, achats groupés… »

La vente par correspondance est aussi vieille que l’invention de l’imprimerie : dès la fin
du XVe siècle, des imprimeurs dressaient déjà des listes d’ouvrages disponibles en les distribuant dans les foires, ouvrant ainsi la voie, deux siècles plus tard, à l’utilisation de catalogues comme outils de promotion. Mais c’est en 1870, avec le catalogue du Printemps édité en 12 langues, qu’apparaît le modèle de ce qui pendant plus d’un siècle restera le symbole du grand magasin disponible à domicile – dont les lettres de noblesse furent écrites par des industriels du textile. Touchés par la crise économique après la Première guerre mondiale, et forcés de réagir ces derniers créèrent les 3 Suisses et La Redoute. Il y eut ensuite l’essor irrésistible du commerce électronique à partir de 1979, date de l’invention du « online shopping » par le Britannique Michael Aldrich, et son envol véritable à partir de l’apparition de l’Internet au début des années 90. La puissance du réseau a véritablement ouvert la boîte de Pandore d’où ne cesse depuis de jaillir un flot continu d’innovations.
L’une des première conséquence de cette évolution a été une substitution de la VPC classique par des ventes en ligne : dès 2010, La Redoute réalisait plus de 70 % de ses ventes sur le Net en s’offrant le luxe de passer, cette même année, en tête des sites les plus visités – devant les champions historiques eBay ou Amazon – avec près de 12 millions de visiteurs uniques. Pour ces acteurs, l’e-commerce a été un réel défi mais surtout une évolution naturelle autant qu’une condition de survie et l’opportunité de renouveler leur modèle économique tout en élargissant encore leur base de clientèle. Au-delà, ce sont tous les commerçants qui ont dû intégrer Internet comme nouveau canal de ventes et de relation directe avec leurs clients. Mais, bien sûr, la nouveauté est venue des très nombreux « pure players » qui se sont tout d’abord attaqués à quelques catégories ciblées de biens et de services. Ce sont d’ailleurs ces secteurs qui basculent aujourd’hui, leurs ventes étant désormais supérieures à celles réalisées en points de vente: livres, biens électroniques, vêtements, chaussures, produits de santé et de beauté…
En outre, une effervescence permanente vient sans cesse enrichir l’expérience des consommateurs. En exploitant toutes les facettes des relations commerciales grâce à
la puissance de nouveaux outils, des sites rendent accessibles des pratiques autrefois réservées aux seuls initiés : ventes privées, cashback (Deenero.com, Fabuleos.fr), achats groupés (Clubdeal, Groupon). Sans oublier les réseaux sociaux qui savent désormais intégrer l’e-commerce en utilisant la puissance de leur base d’utilisateurs.
Des innovations viennent en plus enrichir concrètement le traditionnel site de vente en ligne : la visualisation de sa nouvelle cuisine en 3D, l’essayage d’une nouvelle robe en réalité augmentée devant un miroir, sans parler de l’ensemble des services disponibles
en temps réel sur son mobile. Finalement, les formes et les nouvelles frontières du commerce à l’heure de la révolution numérique semblent devoir évoluer sans cesse, conférant au e-commerce le pouvoir d’absorber toute activité. A tel point qu’il m’arrive de souhaiter, avec Pierre Dac, d’un jour pouvoir « travailler dans un magasin de rêve où l’on ne vendrait que des choses imaginaires ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : La Médiathèque
* Jean-Dominique Séval est directeur général adjoint
de l’Idate. Rapport sur le sujet : « E-commerce :
Innovations et Business Models », par Sophie Lubrano