Convergence télécoms-audiovisuel : où va la création de valeur

Le problème du partage de la valeur entre les « tuyaux » et les contenus se pose, alors que la convergence numérique rebat les cartes. Selon l’institut économique Coe-Rexecode, les géants américains du Net sont les grands gagnants face aux opérateurs de réseaux.

Les opérateurs de réseaux – AT&T, France Télécom, Free, Vodafone, … – sont
les premiers touchés par la création et la destruction de valeur provoquée par la convergence télécoms-audiovisuel-informatique. Cette « destruction créatrice » profite d’abord aux « fournisseurs de services et des plateformes d’intermédiation sur Internet » que sont les Google, Yahoo, Amazon, eBay, Facebook et autres acteurs du Web.
C’est ce qui ressort d’un document de travail intitulé « Les opérateurs de réseaux dans l’économie numérique » et présenté, le 12 mars dernier, par l’institut d’études économiques Coe-Rexecode (1).

Les acteurs du Web en tête
Pour les opérateurs européens, le contrecoup est double : non seulement ces entreprises du Net captent de plus en plus de valeur de l’écosystème numérique
grâce au réseaux haut débit, mais elles sont de plus nord-américaines pour la plupart.
« La neutralité des réseaux [principe qui oblige les opérateurs à garder leurs réseaux ouverts, ndlr] a contribué au développement des entreprises comme Google, Amazon ou eBay, qui proposent des services d’intermédiation sur Internet », expliquent à Edition Multimédi@, Stéphane Ciriani et Antonin Arlandis, économistes de Coe-Rexecode et auteurs de l’étude menée sous la direction de Gilles Koléda. Le taux de marge, qui permet de mesurer la rentabilité des entreprises, est révélateur du malaise qui gagne les opérateurs de réseaux. Ainsi, l’étude de Coe-Rexecode constate que les intermédiaires du Web génèrent en moyenne 14,5 % de marge sur l’année (2) – 20 % pour Google ! – pour un « effort d’investissement » de seulement 6 %. Alors que les opérateurs de réseaux obtiennent, eux, une marge inférieure – 12 % – pour des investissements atteignant en moyenne 17,5 % de leur chiffre d’affaires. Quant aux producteurs et éditeurs de contenus audiovisuels, cinématographiques ou encore musicaux (Time Warner, Walt Disney, TF1, Canal+, Youtube, …), ils dégagent une rentabilité de 9,9 % pour des investissements moindres de 5,1 %. « Les acteurs qui proposent des services d’intermédiation sur Internet, ainsi que les éditeurs de contenus comme Canal+, TF1 ou Time-Warner, vont bénéficier des investissements en fibre optique, effectués par les opérateurs de réseaux. Ceci pourrait faire progresser leurs revenus par le biais d’une amélioration significative de la qualité des services proposés. Il serait donc économiquement efficace qu’ils contribuent à l’effort l’effort d’investissement », estiment les économistes de l’institut d’études. D’autant qu’ils évaluent entre 30 et 40 milliards d’euros l’investissement nécessaire en France, pour la construction d’un tel réseau très haut débit. Mais les Google et les Canal+ ont-ils intérêt à coinvestir dans les réseaux des opérateurs, lesquels deviennent aussi leurs propres concurrents dans les contenus ? Car tous acteurs du numérique se retrouvent en situation de concurrence mutuelle, les uns n’hésitant plus à marcher sur les plates-bandes des autres. Orange accélère dans la coproduction et le préfinancement cinématographique (3) (*) (**), ainsi que dans des contenus exclusifs (films, sport, …), tandis que Google a annoncé, en février dernier, vouloir investir dans une infrastructure très haut débit (4). Les fabricants et équipementiers télécoms (Alcatel-Lucent, Ericsson, Nokia, Apple, LG, RIM, Panasonic, …), qui sont moins bien lotis avec leur 6,6 % de marge de moyenne pour un effort d’investissement de 6,1 %, veulent aussi leur part du gâteau. Et c’est encore un groupe américain, Apple, qui tire le mieux son épingle du jeu en vendant des contenus audiovisuels pour son parc mondial d’iPhone via sa plateforme iTunes. Les opérateurs de réseaux, qui avaient la maîtrise de la relation avec le client final, tentent de résister tant bien que mal à cette
« désintermédiation » qui a tendance à les reléguer à un rôle de simple « tuyaux ».

Le « triple play » ne suffit plus
Se différencier avec des offres « triple play » (Internet-TVtéléphonie) ne suffit plus
pour préserver sa marge. « Sur le segment de la télévision payante de qualité, les opérateurs de réseaux, à l’image de France Télécom, pourraient contester des parts
de marchés à Canal+, à condition que ces opérateurs développent des stratégies
d’édition et de production de contenus audiovisuels qui soient rentables », expliquent les économistes de l’institut d’études. Le problème réside dans le fait qu’ils vont aussi devoir investir massivement dans la fibre optique et dans la téléphonie mobile 4G. Pour quelle rentabilité ? « Certains opérateurs auront un arbitrage à effectuer entre investir dans le déploiement d’infrastructures de réseaux et investir dans le développement, l’édition et la diffusion de contenus audiovisuels », préviennent les économistes de Coe-Rexecode. Faire les deux s’annonce périlleux. @