Services de presse en ligne : soutien de l’Etat mais moins de liberté

Quatre mois après la parution des décrets sur le nouveau régime des services de presse en ligne et quelques jours après la troisième réunion – le 16 février – afin de répartir les 20,2 millions d’euros pour leur venir en aide, Edition Multimédi@ revient sur ce « label » et ses conséquences.

Par Hervé Castelnau, avocat associé (photo), et Thibaut Kazémi, avocat à la Cour, Norton Rose LLP

En octobre 2008 le Président de la République avait lancé les Etats généraux de la presse écrite pour réfléchir au devenir de ce secteur en pleine tourmente économique, notamment face au développement de l’Internet et des journaux gratuits.
Les travaux de ces états généraux ont abouti à la remise au gouvernement, le 23 janvier 2009, d’un Livre vert de plus de 90 recommandations. Parmi celles retenues par Nicolas Sarkozy et introduites dans la loi Hadopi I du 12 juin 2009 figurait la création d’un statut d’éditeur de presse en ligne et une augmentation de l’aide de l’Etat au développement des journaux sur Internet.

Sites éligibles et label « presse »
La mise en place d’un statut spécifique des services de presse en ligne répondait d’abord à une demande des pure players – sites d’information web sans support papier, tels que Rue89, Mediapart ou Slate.fr – de corriger une distorsion de concurrence entre ces sites et les sites en ligne adossés à un titre de presse papier comme lemonde.fr, lefigaro.fr ou encore lesechos.fr, seuls ces supports bénéficiant de mesures de soutien financier. L’autre objectif recherché par la création de ce statut consistait à créer un label « presse » (même si l’expression n’est pas employée dans les textes), afin d’aider le public à se repérer dans la jungle de l’Internet et parmi le pullulement de sites d’actualité dont nombre sont animés par des non professionnels ou rattachés à la communication de sociétés commerciales (1). L’article 27 de la loi du 12 juin 2009 définit le service de presse en ligne comme « tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et en la mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d’une activité industrielle ou commerciale ».
La proposition des états généraux de la presse, de réserver le bénéfice du statut aux seuls éditeurs employant régulièrement des journalistes professionnels, n’a été retenue que pour les services de presse en ligne présentant un caractère d’information politique et générale (2), mais la loi exige néanmoins de tous les autres services de presse en ligne qu’ils constituent une édition publique « à titre professionnel » présentant un traitement de l’information « à caractère journalistique ». La plupart des sites personnels et blogs sont donc exclus du statut. La mise à disposition du public d’informations ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique doit par ailleurs être l’objet principal du site, celui-ci ne pouvant constituer un outil de promotion d’une activité industrielle ou commerciale. Sont ainsi écartés du bénéfice du nouveau statut les services de presse en ligne promotionnels ou commerçants ou les sites d’annonces.

Fonds, CPPAP et TVA
Les services de presse répondant aux critères du nouveau statut peuvent obtenir la reconnaissance de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), laquelle ouvre par ailleurs aux services de presse en ligne la possibilité de bénéficier d’un certain nombre d’aides directes et indirectes, jusqu’alors réservées à la presse écrite. Un nouveau fonds d’aide au développement des services de presse en ligne a été créé par le décret n°2009-1379 du 11 novembre 2009 et doté d’un budget
de plus de 20 millions d’euros par an sur trois ans (lire EM@2 p. 4), afin de soutenir une partie des investissements nécessaires au développement de certains services
de presse en ligne reconnus par la CPPAP. Les services de presse en ligne reconnus par la CPPAP bénéficient en outre de deux mesures fiscales avantageuses que connaissent bien les acteurs de la presse écrite. Ils sont exonérés de cotisation foncière des entreprises (3) (ancienne taxe professionnelle) et, sous réserve de consacrer une large part à l’information politique et générale, sont dorénavant admis au bénéfice de
la provision spéciale de l’article 39 bis A du Code général des impôts. Cette dernière disposition permet de retrancher du résultat fiscal une provision spéciale qui doit être affectée à la réalisation d’investissements limitativement énumérés (4). Cependant,
et malgré le principe de neutralité technologique et la volonté de favoriser les développements des sites de presse en ligne prônés par le président de la République, les services de presse en ligne continuent à se voir appliquer un taux de TVA de 19,6 % tandis que la presse écrite bénéficie d’un taux de seulement 2,10 %, sans que l’on puisse bien comprendre les motifs, autres que purement financiers, d’une telle différence de traitement.
Le ministère de la Culture et de la Communication a toutefois annoncé en janvier dernier, poursuivre ses efforts en vue d’engager une discussion à l’échelon communautaire sur la question de l’applicabilité aux services de presse en ligne d’un taux de TVA minoré.

Régime de responsabilité hybride
La maîtrise éditoriale du service de presse en ligne – ou, pour paraphraser la loi de 1982 sur la communication audiovisuelle (5), la faculté de procéder à une fixation du contenu préalablement à sa communication au public – a pour corollaire la responsabilité de plein droit du directeur de la publication lorsque le contenu constitue un délit de presse (6). L’article 93-3 alinéa 5 de la loi sur la communication audiovisuelle, modifiée par la loi « Hadopi I », a cependant organisé un régime de responsabilité atténuée pour les espaces faisant appel à la contribution des internautes (forums, chats, blogs, courrier des lecteurs, etc), disposant que « lorsque l’infraction résulte d’un message adressé par un internaute à un service de communication en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contribution personnel identifié comme tel, le directeur de la publication ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité engagée comme auteur principal s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message ». En introduisant ce régime de responsabilité spéciale, le législateur semble avoir voulu faire bénéficier les services de presse en ligne – pour les messages postés sur leurs espaces de forum ou blog par les internautes – du régime juridique des hébergeurs prévu par la loi pour la confiance dans l’économie numérique ou LCEN (7).
Il n’est cependant pas évident que la mise en place de ce régime de responsabilité spéciale pour les espaces participatifs constitue un mieux pour les services de presse
en ligne. Ceux-ci étaient déjà protégés par le régime de la responsabilité de l’hébergeur prévue par la LCEN quand aucune modération a priori n’était effectuée sur le forum sur lequel le message incriminé était posté (inapplicabilité dans une telle hypothèse de la responsabilité éditoriale de plein droit).

Recul pour la liberté d’expression
En outre, et c’est plus grave, le régime prévu par l’article 93-3 de la loi sur la communication audiovisuelle, modifiée par la loi « Hadopi I », est nettement moins protecteur de la liberté d’expression que la LCEN. Cette dernière prévoit en effet que
la responsabilité de l’hébergeur ne peut être mise en cause que dans l’hypothèse où
le contenu incriminé présenterait un caractère « manifestement » illicite ou dans le cas où le retrait de ce contenu aurait été ordonné par un juge. Ces garanties de la liberté d’expression, que le Conseil constitutionnel lui-même avait pris soin de préciser lors
de l’adoption de la LCEN, n’ont étonnamment pas été reprises, que ce soit dans le texte du nouvel alinéa 5 de la loi sur la communication audiovisuelle ou dans l’interprétation qu’en ont récemment faite les juges du tribunal de grande instance de Paris à l’occasion d’une affaire médiatisée du fait de la notoriété des parties en cause (8). L’éditeur de service en ligne, et plus largement tout gestionnaire d’un service de communication au public (9), aura une forte incitation à accéder aux demandes de retrait de contenus prétendument illicites, alors même que leur prétendue illicéité ne sera ni manifeste ni constatée par un juge. C’est sans doute un recul de la liberté d’expression dans des espaces du Net, dont cette liberté était jusqu’à présent l’un des principaux attraits. @