Le marché du livre numérique s’est enlisé dans des promotions au rabais et destructrices de valeur

Les ventes de ebooks en France vont, péniblement, vers les 10 % de parts de marché du livre. A qui la faute ? Autant aux maisons d’édition traditionnelles qu’aux pure players de l’édition numérique engagés, dénonce le fondateur de Numeriklivres, dans une « spirale infernale » de baisse des prix.

« On est en train de tuer le marché le marché du livre numérique ! ». C’est le cri d’alarme d’un éditeur français qui ne cesse de fustiger depuis trois ans la descente aux enfers des ebooks. La raison de sa colère : les promotions tarifaires excessives pour vendre coûte que coûte des livres numériques sur un marché déjà atone. « Si l’on vend à 99 centimes ou 1,49 euro, il faut écouler des dizaines de milliers d’exemplaires pour s’en sortir. Et sans un auteur phare, c’est impossible », déplore Jean-François Gayrard (photo), président fondateur des éditions Numeriklivres (NL).

Des ebooks à 0,99 euro, pour les tuer ?
« Nos livres numériques sont vendus à 5,99 euros, un tarif média pour payer les auteurs, l’entretien du site, l’édition, la relecture, etc. », a-t-il ainsi justifié selon des propos rapportés par ActuaLitté le 27 novembre dernier. Pour Jean-François Gayrard, les opérations promotionnelles tirant vers le bas les tarifs de vente des ebooks se multiplient et « participent de la dévalorisation du prix de vente des ebooks, et du
format par conséquent ». Non seulement il estime que cela détruit la valeur du livre numérique sur un marché français de l’ebook qui a déjà du mal à décoller, mais aussi que ces campagnes aux rabais « prennent l’ascendant sur l’éditorialisation sur les sites de vente ». Et de prévenir : « Il ne faut pas confondre être téléchargé et être lu. Avec un ebook à 99 centimes, on l’achète et on l’oublie trois mois plus tard sans l’avoir ouvert ». Selon cette maison d’édition née en 2013, « les éditeurs historiques et l’auto-publication ont grandement participé à cela : les premiers parce qu’ils ne se sentent pas vraiment concernés, les seconds parce que leur impératif est de figurer en première place dans les classements d’Amazon… pour espérer souvent trouver une place chez un éditeur traditionnel » (1).
Contacté par Edition Multimédi@, Jean-François Gayrard nous indique que
« si d’autres éditeurs partagent ce point de vue, ils n’oseront pas le formuler publiquement ». NumerikLivres n’est en outre pas adhérent du Syndicat national de l’édition (SNE), mais son fondateur y songe. « Quand va-t-on s’intéresser à la production des maisons d’édition nativement numériques comme Numeriklivres ? », interpelle-t-il. Ce n’est en tout cas pas la première fois qu’il s’insurge contre cette fuite en avant tarifaire des maisons d’édition – traditionnelles ou pure players digital. Déjà, début 2014, il était en effet monté au créneau pour dénoncer « la spirale infernale des promotions à 0,99 euro » qui « donne une image d’une édition numérique au rabais ».
Il tirait alors une première fois la sonnette d’alarme : « Il y a un danger à continuer de tirer les prix des ebooks vers le bas », tout en se défendant de participer à cette
« surenchère d’offres à très bas prix chez certains éditeurs 100 % numérique qui pensent que la seule façon d’attirer l’attention des lecteurs c’est de vendre à
0,99 euro » (2). Les éditions NL savent de quoi elles parlent, elles qui furent pure player 100 % numériques au départ avant de se voir contraintes – comme d’autres éditeurs numériques – de diversifier leur modèle économique dans l’édition papier de livres.
« Cela ne suffira pas forcément : beaucoup d’éditeurs fermeront à cause de ce piège de la promotion », prédit son fondateur. Début 2016, NumerikLivres s’est donc lancé dans l’impression à la demande (POD pou Print on Demand) afin de rendre aussi ses ebooks disponibles en livre brochés.
Même si son catalogue d’ebooks ne constitue pas un échec, le papier lui permet de répondre à une demande car « les lecteurs, eux, sont plus encore attachés au format papier ». Et surtout, la POD permet aux éditions NL de ne pas tomber dans la spirale infernale des ebooks vendus à prix cassés. « Ce sont les prix du marché du hard cover soit entre 14 et 20 euros : du coup, le numérique c’est un peu comme notre format poche avec un prix médian de 5,99 euros, soit en moyenne 70 % du prix papier, ce qui est loin d’être le cas des prix pratiqués par les éditeurs historiques pour leur catalogue numérique », avait expliqué Jean-François Gayrard au printemps 2016 à Idboox, conseil en édition numérique dirigé par Elizabeth Sutton (3). C’est que Jean-François Gayrard a changé d’avis sur le livre papier, lui qui était auparavant farouchement opposé à l’idée d’imprimer ses ebooks. « C’est vrai, j’ai changé d’avis. (…) Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis de toute façon ! », avait-il admis en avril 2016.

Limiter la destruction de valeur
Fin novembre dernier, NumerikLivres – dont le catalogue compte aujourd’hui plus de 500 titres disponibles en ebook et papier, a présenté une triple offre baptisée « Le Club NL » limitant la destruction de valeur : 3,99, 7,99 ou 11,99 euros par mois (4). De quoi redonner des couleurs au marché du livre numérique qui, en France, ne dépasse pas encore 10 % des ventes. @

Charles de Laubier