Droit d’auteur : comment le Syndicat national du livre (SNE) s’en prend à la Commission européenne

C’est un brûlot que les maisons d’édition françaises ont lancé début septembre pour dénoncer le projet de réforme du droit d’auteur de la Commission européenne attendu en fin d’année. Le SNE a mandaté l’avocat Richard Malka
qui mène la charge contre Jean-Claude Juncker, Julia Reda et… Axelle Lemaire.

« La Commission Juncker s’apprête ainsi à transformer l’Europe en terrain de chasse pour des acteurs déjà en position dominante [comprenez Amazon, Google, Apple, etc, ndlr] et laissera exsangues, en emplois et en ressources, le monde de l’édition et avant tout les auteurs eux-mêmes », accuse Richard Malka (photo) dans son opus au vitriol lancé début septembre contre l’exécutif européen et intitulé « La gratuité, c’est le vol. 2015 :
la fin du droit d’auteur ? » (1).

Haro sur Google, Apple et Amazon
Selon cet avocat, formé par Georges Kiejman (ténor du barreau parisien et célèbre défenseur de François Mitterrand) et connu pour avoir Charlie Hebdo parmi ses clients (dans l’affaire des caricatures de Mahomet), la Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker est « sous l’influence conjuguée et paradoxale de multinationales transatlantiques et de groupements libertariens ou “pirates” ». Mandaté par le Syndicat national de l’édition (SNE), il reproche à l’exécutif européen de ne pas avoir réalisé d’étude d’impact économique sur les réformes envisagées de la directive « DADVSI » du droit d’auteur (2). « Cette réforme, applaudie par les lobbyistes de Google, Apple, Facebook et Amazon, en totale adéquation avec leurs attentes (…), relève donc d’une initiative exclusivement technocratique, détachée de la moindre nécessité économique, dénuée de toute légitimité démocratique, induisant l’affaiblissement d’une des industries européennes les plus importantes », fustige Richard Malka dans son livret gratuit d’une trentaine de pages. La Commission européenne nous a indiqué qu’elle répondait au SNE dans des termes que nous mettons en ligne (3). Sous sa plume incisive, il reproche à Jean-Claude Juncker – ainsi qu’à Andrus Ansip, commissaire européen
et vice-président en charge du Marché unique numérique, et à Günther Oettinger, commissaire européen à l’Economie et à la Société numériques – d’être tout acquis
à la cause des « opérateurs numériques, qui réclament avec insistance cette réforme
à l’aide de centaines de lobbyistes ». Il affirme que la Commission européenne
« donnerait les clés des industries culturelles européennes et de la rémunération des auteurs aux seuls grands industriels de la communication numérique », alors que selon cet avocat elle devrait plutôt s’occuper des « entraves à la circulation des œuvres ».

L’eurodéputée Julia Reda en prend également pour son grade (4), après que son rapport de réformes à faire pour le droit d’auteur ait été adopté le 9 juillet par le Parlement européen. Alors que les propositions de la Commission européenne sont attendues en fin d’année, après que son unité « Copyright » aura rendu les siennes
au cours de cette rentrée, le SNE – organisateur de « Livre Paris » en mars 2016 (ex-Salon du livre de Paris) – monte d’ores et déjà au créneau. En France, est aussi dans le collimateur la secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, qui va soumette à consultation publique à partir du 21 septembre son projet de loi numérique introduisant des « exceptions » (open access, text and data mining, …) soutenues notamment
par 75 personnalités et le CNNum (5). Or, l’avocat militant estime que les menaces persistent pour le secteur du livre contrairement au domaine audiovisuel : la Commission européenne envisagerait de rendre obligatoire jusqu’à 21 exceptions
au droit d’auteur qui ne donneraient plus lieu à rémunération (notamment dans le prêt numérique en bibliothèque, ou bien à des fins pédagogiques, voire dans le cadre d’œuvres transformatives au nom de la liberté créative ou encore pour des travaux
de recherche à l’aide du data mining).

Autre exception au droit d’auteur contre laquelle s’élève le SNE et son avocat : le principe du fair use. « Cette exception importée des Etats-Unis est révélatrice des sources d’inspiration de Madame Julia Reda et de la Commission [européenne]. Elle permet d’utiliser une oeuvre sans autorisation dès lors qu’un motif légitime le justifie (droit à l’information, à la création, à la parodie…) », écrit Richard Malka. Le droit d’auteur européen est basé sur une liste limitative d’exceptions, contrairement au système juridique américain qui laisse les tribunaux apprécier au cas par cas si les utilisations des œuvres relève du fair use (6).

Pour le geoblocking des œuvres 
Quant à l’« extraterritorialité » (permettre l’achat de contenus sans restriction géographique ou geoblocking), elle est perçue par l’auteur comme une « exception » supplémentaire qui « constituerait donc une atteinte injustifiée aux droits des auteurs sur leurs œuvres ». Ce livre à charge est assorti du site Auteursendanger.fr. Le bras de fer ne fait que commencer. @

Charles de Laubier