Takis Candilis, président de Lagardère Entertainment : il faut taxer Google et travailler avec YouTube

A la tête depuis sept ans de Lagardère Entertainment, première société de production audiovisuelle française, Takis Candilis est aussi cofondateur de l’Association de l’industrie audiovisuelle indépendante (A2I). Pour lui, il est urgent que les producteurs et les chaînes s’emparent du numérique, et que Google soit taxé.

Par Charles de Laubier

Takis Candilis

Takis Candilis

Plus de trois ans après la remise à deux ministres de l’époque du rapport « La télévision connectée », dont il était un coauteurs (1), Takis Candilis (photo), président de Lagardère Entertainment depuis août 2010 (après en avoir été le directeur général), estime que taxer les acteurs étrangers de l’Internet est plus que jamais urgent. Interrogé le 11 février dernier devant l’Association des journalistes médias (AJM) pour savoir s’il maintenait la proposition de ce rapport d’instaurer une « contribution perçue sur les échanges générés par les services en ligne », il a répondu sans hésité : « Exactement ! Malheureusement, quatre ans après on en est toujours par là. Mais je suis ravi que quelqu’un comme Fleur Pellerin [ancienne ministre déléguée à l’Economie numérique] soit la ministre de la Culture et de la Communication. Car elle prend à bras le corps ce problème car elle les connaît (les acteurs du numérique). Il faut accélérer parce que cette machine [prenant son smartphone, ndlr], elle bouge tout le temps… ».

La taxe Internet est préconisée depuis le rapport « TV Connectée » de 2011
Il intervenait le jour même où Le Canard Enchaîné indiquait que Bercy menait une étude sur l’instauration d’une telle taxe, indexée sur l’utilisation de la bande passante.
Cette idée de contribution sur les débits de l’Internet ne date donc pas d’hier, mais elle revient au devant de l’actualité car ce prélèvement permettrait – selon leurs promoteurs – de fiscaliser les acteurs du numérique étrangers qui, comme Google installé en Irlande, Apple au Luxembourg ou encore Netflix aux Pays-Bas, échappent en France à l’impôt et aux obligations de financement de la création – à savoir les films et les séries. « Les opérateurs télécoms pourraient collecter et reverser au Cosip (2) le produit d’une contribution perçue sur les échanges générés par les services en ligne », préconisait
en effet le rapport « Télévision connecté » en novembre 2011. Lors des Rencontres cinématographiques de Dijon, en octobre dernier, l’idée est revenue au devant de la scène : Frédérique Bredin, présidente du CNC, parlant de « territorialisation des réseaux » (4), Olivier Schrameck, président du CSA, de « régulation de la bande passante », et Rodolphe Belmer, DG du groupe Canal+, de « taxer la tête de réseau ». La France pousse cette idée de péage sur l’Internet au niveau de la Commission européenne.

« Google pille la recette publicitaire »
Pour Takis Candilis, c’est d’autant plus urgent que la publicité numérique atteint en 2014 une part de 25 % des investissements médias en France, passant ainsi pour
la première fois devant la publicité dans la presse imprimée (24 %) et talonnant la publicité à la télévision (27 %). Et le président de Lagardère Entertainment, devant l’AJM, d’en appeler au gouvernement « C’est un marché encore balbutiant, alors que 50 % de la publicité est digitale et égale celle de la télévision. Or elle passe en très grande majorité sur les liens Google qui pille – pille ! – la recette publicitaire. Et cela ne profite ni à vous [la presse] – il n’y a pas de taxe – ni à nous – il n’y en a pas non plus. Pourtant, ils vivent de vos articles et de nos vidéos. Donc il va falloir quand même que l’on regarde cela de près. C’est ce que l’on demande aux pouvoirs publics ».
C’est justement un des chevaux de bataille de l’Association de l’industrie audiovisuelle indépendante (A2I), dont Takis Candilis, vice-président, est cofondateur en novembre 2014 avec trois autres sociétés de production audiovisuelle françaises : TelFrance, Elephant et Cie et Fédération Entertainment. Cela n’empêche pas Lagardère Entertainment, qui regroupe vingt-trois sociétés de production ou de distribution audiovisuelles au sein de Lagardère Active (filiale médias du groupe d’Arnaud Lagardère), de commencer à lancer des chaînes sur YouTube – filiale de Google. Mais cela se fait sur le mode du « Je t’aime, moi non plus » : « Un certains nombre de nos programmes sont sur YouTube. Vous savez que YouTube est une caverne d’alibaba, à l’intérieur de laquelle il y a beaucoup de programmes piratés. Donc, il faut déjà se faire connaître auprès de YouTube en disant que ce programme est à nous : c’est-à-dire qu’il faut le géotagguer et lui mettre de la publicité, même si c’est sur des chaînes pirates sur YouTube ou des mini-chaînes de fans aux contenus piratés et aux programmes captés à l’écran », a expliqué Takis Candilis, qui s’est défendu d’encourager ainsi le piratage audiovisuel sur Internet. C’est que la plateforme vidéo mondiale de Google est devenue incontournable malgré tout. « Il y a des milliards de programmes. Il y a quelques diffuseurs qui ont dit : “Nous, YouTube, jamais !”. Allez-vous faire un procès au plus gros distributeur ? Et si l’on s’entendait avec lui… Vous créez un partenariat avec YouTube qui est demandeur aussi et a besoin d’éditorialiser ses chaînes. Ils ont
besoin du savoir-faire, de programmes organisés, présentés en séries, etc. », a-t-il
dit en se démarquant implicitement de la démarche de TF1 qui avait préféré dès 2008 s’attaquer à YouTube en justice – avant finalement de nouer l’an dernier un accord de partenariat (5).
Entre les groupes Lagardère et Google, il y a un partage des recettes publicitaires.
Sur deux de ses séries – «Un gars et une fille » et une série jeunesse –, Lagardère Entertainment enregistre une audience cumulée en ligne de 9,5 millions de vues par mois environ, en forte croissance. « C’est beaucoup. Cela ne rapport pas beaucoup
car le CPM (coup pour mille vues) sur YouTube est petit mais cela fait plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois tout de même », s’est-il félicité. A la question
de savoir si Lagardère Entertainment ne contribue pas ainsi à la richesse de Google,
il a rétorqué : « Non, Google préfère contribuer à la nôtre [de richesse] quand on les taxera » ! Même si YouTube ne rapporte rien, le groupe Lagardère estime y gagner
en synergie, médiatisation et marketing. Sur un marché où l’offre d’images et de contenus est très atomisée, les marques importantes sont les plus puissantes. C’est
ce qui a motivé Takis Candilis lorsqu’il a lancé – pour la première pour Lagardère –
un programme dit « 360 », une « opération triangulaire » entre France Télévisions, Femina, le magazine féminin du groupe, et sa production « Toute une histoire ». Lagardère produit ainsi quotidiennement ce programme avec Sophie Davant sur
France 2, assorti d’une chaîne YouTube sur laquelle sont mis certains sujets du jour, visionnables également sur le site web de France 2.
A la question de savoir si Lagardère pourrait lancer son propre service de SVOD,
il a répondu : « Franchement, non. En tout cas pas aujourd’hui. Il faudrait que l’on soit d’une taille beaucoup plus importante. Mais ne disons jamais “jamais” ». Lagardère Entertainment préfère s’en tenir à ses deux métiers : producteur et distributeur. Il fournit les chaînes traditionnelles et commence à le faire auprès de plateformes numériques. Par exemple, la deuxième saison de « Transporteur » a été vendue à Netflix aux Etats-Unis (en plus de Turner Network Television, TNT).

Produire pour Netflix et les autres
Netflix lui a aussi acheté les trois saisons de « Borgia » « Il faut que Netflix donne à manger à ses 59 millions d’abonnés, lesquels passeront à 70 millions dans quelques mois et à 100 millions dans deux ou trois ans ! Les contenus ont une très longue vie devant eux », s’est-il enthousiasmé. Mais pour l’heure, Lagardère Entertainment ne réalise que 5 % de son chiffre d’affaires dans le numérique. Takis Candilis se donne jusqu’à 2017 pour atteindre les 20 %, quitte à procéder par acquisitions – en Europe, pas aux Etats-Unis. @