World War Web

Si certains rêvent toujours de retrouver la liberté en ligne des premiers âges, l’Internet est encore régulièrement secoué par des guerres entre puissants qui prétendent à son contrôle. Comme ces cités antiques ou places fortes médiévales qui verrouillaient les voies de communication stratégiques, les géants actuels du Net tentent de verrouiller les portes d’accès du Web. La première bataille de cette histoire des conquêtes du Net a été celle des
« portails » que remporta Yahoo, l’un des premiers champions à imposer un modèle pour accéder aux pages web. Microsoft, lui, gagna contre Netscape celle des navigateurs avec son ultra dominant Internet Explorer.
Tandis que Google mit tout le monde d’accord, ou presque, avec son moteur de recherche. C’est ensuite l’outsider Facebook qui imposa le réseau social comme une nouvelle voie d’accès aux contenus, et c’est de nouveau Google qui prit le contrôle de l’Internet mobile en imposant Android comme l’OS (Operating System) de référence.
La décennie suivante, la nôtre, a été celle de la guerre des plateformes.

Comme ces cités antiques ou places fortes médiévales,
les géants du Net tentent de verrouiller les portes
d’accès du Web.

Il s’agit cette fois de prendre le contrôle des outils de gestion de l’Internet de nouvelle génération qui s’annonçait peu avant 2015 : un Internet de la mobilité généralisée et
de l’interconnexion de plusieurs centaines de milliards d’objets dits « intelligents ». Ce nouvel âge de l’Internet ouvrait un nouvel espace de création et d’innovation. Nous assistions à une nouvelle transition, semblable à celle que nous avions connue entre 1960 et 2000 avec l’informatisation et la numérisation initiales des activités, avant une
« internetisation » généralisée. Tous les secteurs sont aujourd’hui concernés : énergie, transports, industrie, distribution, banque, santé, éducation, maison, … L’Internet, après avoir été d’abord un formidable outil de communication et de partage de contenus,
est devenu aussi un redoutable système de gestion et de transformation des modèles économiques grâce à des outils de plus en plus simples d’utilisation à force de développements encore plus complexes et coûteux, mais très bon marché à reproduire. Cette nouvelle guerre généralisée du Net s’est déroulée de manière simultanée sur deux lignes de front : les données et les écosystèmes. Qui assureraient la disponibilité et le contrôle des données, ce carburant indispensable à la vitalité des nouveaux services Internet ? Au cœur des modèles économiques de la plupart des fournisseurs de services, elles sont en effet au centre des préoccupations : une majorité d’utilisateurs et de gouvernements ont dû arbitrer entre un accès peu onéreux à des services innovants et le partage contrôlé de leurs données dans un environnement
où la confiance reste limitée. Dans le même temps, de grandes plateformes expansionnistes et leurs technologies propriétaires remettent en cause l’ouverture originelle de l’écosystème de l’Internet. Mais pendant qu’ils essayaient de le verrouiller, les réglementations et les standards ouverts ont tenté de contenir leur position dominante. Ce que l’on appelle désormais « la Guerre sans fin des plateformes »
a ainsi vu s’affronter les leaders du Net, tels que Google et Amazon, lancés dans
le contrôle de ce nouvel Internet. Ils ont cependant trouvé face eux de nouvelles puissances numériques, pure players du Net ou pas, issus par exemple de la grande distribution traditionnelle comme Walmart ou Carrefour. Ce fut la revanche du « brick and mortar », du moins ceux qui furent en position de faire eux aussi du Big Data à partir de leurs bases de données.
Grâce à leurs propres infrastructures – et une réglementation compréhensive – ces acteurs du digital sont capables de proposer des services innovants à partir d’un mixte de ventes, de publicités et d’équipements. C’est ainsi qu’ils ont pu capter une grande partie de la valeur d’un marché des services Internet atteignant près de 900 milliards d’euros en 2025, contre 300 milliards en 2014. Ces acteurs hyperdominants sont régulièrement attaqués et déstabilisés par des start-up misant sur le standard ouvert HMTL5, publié en 2014, ou par le renforcement de l’Open Data. Les internautes sont tiraillés entre laisser leurs données personnelles être exploitées ou rallier des systèmes de sécurité sophistiqués payants de type « Apple » ou « Amex ». Finalement, les géants du Net ont dû accepter de partager l’e-pouvoir. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Neutralité du Net.
* Directeur général adjoint de l’IDATE, auteur du livre
« Vous êtes déjà en 2025 » (http://lc.cx/Broché2025).
Sur ce même thème, l’institut vient de publier son rapport
« Future Internet 2025 », par Vincent Bonneau.