Bien que la diffusion audiovisuelle sur le Net explose, les fréquences sont plus que jamais régulées

Alors que les services de vidéo à la demande (VOD/SVOD), de catch up TV ou encore de télévision connectée se déploient massivement sur les réseaux fixes (très) haut débit, les fréquences, elles, dont les UHF du dividende numérique, n’ont jamais autant préoccupé les régulateurs européens et nationaux.

Par Marta Lahuerta Escolano, avocate, et Rémy Fekete (photo), avocat associé, Gide Loyrette Nouel

Le rapport Lamy (1), publié le 1er septembre dernier et remis à Neelie Kroes, commissaire de l’Union européenne à la Stratégie numérique, porte sur l’usage et l’allocation futurs des fréquences dites ultra-hautes (UHF) comprises entre 470 et 790 Mhz. Ces fréquences sont actuellement utilisées pour la diffusion hertzienne terrestre et notamment pour la télévision numérique terrestre (TNT).

 

Des enjeux européens et…
Ce rapport s’inscrit dans une stratégie visant à établir une politique européenne commune de développement des technologies numériques de pointe. Et ce, comme
l’a rappelé Neelie Kroes, dans le but notamment d’assurer « la défense des intérêts européens dans les négociations internationales » (2). Le constat de départ est un leitmotiv de la régulation du secteur : les ressources sont rares, notamment en ce
qui concerne les fréquences (plusieurs technologies ne pouvant occuper une même fréquence), et une régulation se révèle indispensable pour assurer un développement technologique et commercial viable du secteur. Partant de ce constat, l’ambition du rapport est double : offrir à un secteur des technologies mobiles – au développement rapide – les ressources nécessaires, tout en donnant aux exploitants actuels de ces ressources rares des garanties quant à la poursuite sereine de leurs activités. Le
« groupe de haut niveau sur l’usage futur de la bande UHF » (3), composé de dix-neuf représentants de premier ordre du secteur des télécommunications et de la diffusion audiovisuelle (tels qu’Orange, la BBC, TDF ou Mediaset), n’ont pas réussi à dégager un consensus. Résultat : ce document ne fait état que de l’opinion personnelle de Pascal Lamy. Il n’en reste pas moins d’une très grande importance : les chances sont en effet nombreuses que le rapport soit adopté en l’état par la Commission européenne.
Ce rapport pourrait redessiner le paysage de la répartition de fréquences entre
les différentes technologies. La solution dégagée par le document consiste en un calendrier fondé sur le “modèle 20-25-30”, tel que dénommé par Pascal Lamy, renvoyant à trois étapes majeures :
• La première étape identifiée est celle de la libération d’ici à 2020 de la bande 700 Mhz (correspondant aux fréquences comprises entre 690 et 790 Mhz), c’est-àdire le haut de la bande UHF. Cette bande fera donc en premier l’objet d’un transfert des technologies de diffusion terrestre, dont la TNT, aux technologies mobiles, gourmandes en fréquences. Le délai se veut néanmoins volontairement long pour permettre, d’une part, aux pays dont la pénétration de la TNT est forte d’opérer la transition sereinement, et, d’autre part, à ceux voulant progresser plus rapidement d’avoir les moyens de le faire. En France, si le principe du transfert semble acté, son calendrier fait en revanche l’objet de larges débats, notamment face aux enjeux liés aux délais d’adaptation (4). Il ne serait donc pas étonnant que la publication du rapport accélère le processus.
• Parallèlement, Pascal Lamy préconise de donner au secteur de la télévision hertzienne des garanties quant à la possibilité pour ce secteur de pouvoir s’appuyer jusqu’en 2030 sur les fréquences de la bande UHF inférieures à la bande 700 Mhz (c’est-à-dire le spectre 470-670 Mhz).
• L’année 2025 marquerait quant à elle une forme d’étape intermédiaire, au cours de laquelle serait décidé par la Commission européenne le sort définitif de ce spectre 470-670 Mhz après 2030, et de la façon dont les fréquences concernées seront réallouées aux différentes technologies.
Ce modèle entend donc répondre au problème de la redistribution des fréquences en essayant d’offrir un compromis entre le développement accru de ces deux technologies et la rareté de cette ressource essentielle à leur développement.

…des préoccupations nationales
En France, une récente décision du Conseil d’Etat, datée du 11 juin dernier (5), nous rappelle que l’activité régulatrice n’en est pas moins intense à l’échelle nationale pour des ressources qui peuvent se révéler tout aussi rares : les tours de diffusion. Dans cet arrêt, la Haute cour de justice administrative a rejeté les requêtes formées par deux opérateurs de radiodiffusion et un multiplex – res-pectivement TowerCast (NRJ), TDF
et Multiplexe R5 (TF1) – à l’encontre d’une décision de l’Arcep datée du 11 septembre 2012. Cette décision (6) porte sur la régulation du marché de gros de la diffusion de la TNT pour la période 2012-2015 (régulation dite du cycle III). Dans sa décision, l’Arcep
a déclaré comme pertinent sur cette période le marché de gros en amont des offres de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels. Dans le prolongement des analyses de marché des cycles I (2006- 2009) et II (2009-2012), le régulateur des communications électroniques a de nouveau désigné la société TDF comme seul opérateur exerçant une influence significative sur ce marché, maintenant ainsi un ensemble d’obligations asymétriques qui lui ont été imposées au cours des précédents cycles de régulation.

Obligations imposées à TDF
La décision du cycle III reprend par ailleurs le principe de l’applicabilité immédiate
des décisions de l’Arcep aux contrats entre opérateurs, y compris ceux conclus avant l’entrée en vigueur de ces décisions. Ce principe, posé par l’Arcep à l’issue d’un règlement de différend en TowerCast et TDF (7), avait été contesté par la société TDF, qui avait intenté un recours devant la Cour d’Appel de Paris. Dans son arrêt du 11 juin 2014, le Conseil d’Etat a, à son tour, validé la faculté de l’Arcep – alors accusée par TDF d’« excès de pouvoir » – de réguler exante le marché de gros de la diffusion de
la TNT, compte tenu de la présence d’obstacles au développement d’une concurrence effective à l’horizon 2015 et de l’impossibilité du droit de la concurrence à remédier,
à lui seul, aux défaillances de ce marché. la Haute cour de justice administrative a
aussi approuvé l’ensemble des obligations asymétriques imposées à TDF, ainsi que
le principe d’applicabilité immédiate de ces obligations aux contrats en cours. Cette décision s’inscrit dans un mouvement débuté en 2006 qui vise à instaurer une concurrence équitable sur un marché historiquement monopolistique de la diffusion audiovisuelle hertzienne terrestre, marché occupé à hauteur de 70 % par l’opérateur historique TDF (ex-Télédiffusion de France). Dans ce contexte et à l’instar du secteur des télécoms, les instances communautaires et nationales ont entrepris une action visant à permettre aux opérateurs alternatifs de se développer et de pouvoir concurrencer l’opérateur historique. L’Arcep a donc, depuis 2006, développé plusieurs cycles de régulation afin d’instaurer une concurrence équitable sur le marché de gros. Le cycle I a ainsi consisté en l’identification de TDF comme unique entreprise exerçant une influence sur marché, et à prendre les mesures régulatrices que ce constat imposait. A ainsi été dégagée une principale obligation à la charge de TDF : celle de l’accès, imposant notamment de proposer aux opérateurs des conditions techniques et tarifaires respectant les principes d’efficacité, de non-discrimination et de concurrence effective et loyale, ou encore de fournir l’accès à des systèmes d’assistance opérationnelle ou à des systèmes logiciels similaires nécessaires pour garantir l’existence d’une concurrence loyale dans la fourniture des services.

Dans le cadre du cycle II, l’Arcep a défini en 2009 (8) les moyens de réalisation de cette obligation d’accès, notamment d’un point de vue tarifaire, en imposant une obligation d’orientation des tarifs vers les coûts pour les offres de gros correspondant aux sites non réplicables – étant donnée leur rareté (pylônes, châteaux d’eau, toits d’immeubles, clochers d’églises, ou des constructions hautes comme la tour Eiffel). La décision de l’Arcep prévoyant que les obligations d’orientation des tarifs vers les coûts sont applicables aux contrats en cours ne visent que les sites non réplicables. Les critères permettant de déterminer la réplicabilité des sites, sur la base desquels la liste des
sites non réplicables est établie, constituent donc un enjeu économique important
pour l’ensemble des opérateurs du marché de gros de la diffusion hertzienne terrestre.

Ces critères sont une composante importante de l’enjeu objet cycle III de régulation dans laquelle s’inscrit la récente décision du Conseil d’Etat : il s’agit non seulement d’ajuster les critères précédemment utilisés, mais aussi de fournir une grille d’analyse permettant d’évaluer la réplicabilité des sites à venir et d’offrir aux acteurs du marché – les « nouveaux entrants » – de meilleurs moyens d’anticipation. Les principaux critères ainsi dégagés sont la hauteur du pylône, l’existence de conditions d’accès exceptionnelles ou encore les contraintes administratives ou d’urbanisme. Néanmoins, un constat s’impose : si les règles visant à obliger l’opérateur historique TDF à partager ses infrastructures sont de nature à permettre aux opérateurs alternatifs de développer favorablement leurs services, le résultat escompté n’a (pour le moment) pas été atteint, notamment en raison du faible nombre de tours non réplicables et donc concernées par les obligations tarifaires spécifiques imposées à TDF.

Levée progressive de la régulation ?
A l’heure du développement sur le territoire européen de la télévision connectée, de l’arrivée de Netflix et des différents outils permettant d’avoir accès à des programmes audiovisuels par d’autres canaux que la TNT, il semble de bon augure que l’Arcep envisage d’ores et déjà une « levée progressive de la régulation (…) à moyen et long termes (…), compte tenu à la fois des perspectives a priori stables et pérennes qui ont été identifiées pour le marché de la diffusion TNT et d’une relative “maturité” de la régulation » (9). @