Meta Musique

On se souvient aujourd’hui de l’année 2012, comme celle qui marqua la sortie de ce que certains croyaient être l’enfer et qui, finalement, n’aura été qu’un sombre et long purgatoire. C’était la première fois, depuis 1999, que le marché mondial de la musique renouait avec la croissance. La progression fut certes modeste avec à peine 0,3 % mais, après presque 15 ans de baisse continue, elle raisonna comme une promesse. Ce fut l’avènement d’une nouvelle ère, où la musique serait numérique et définitivement dématérialisée. Mais attention, le soleil ne s’est d’abord levé que sur quelques terres privilégiées. De petits pays du nord de l’Europe, comme la Suède et la Norvège, terres d’élection pour l’économie numérique et le streaming par abonnement, et de très grandes économies émergentes comme le Brésil, le Mexique et l’Inde adoptèrent rapidement la consommation musicale sur mobile. Pour les autres, le marché fut encore en recul comme en France avec, encore cette année-là, une baisse de plus de 4 %.
C’est dans ce contexte que s’est ouvert un nouvel acte, avec l’entrée en lice des géants du Net, décidés à prendre les rênes laissées quelques temps aux défricheurs Spotify, Deezer ou Pandora, qui avaient quand même eu le temps de consolider leurs positions.

« Le GRD fut décisif pour associer en temps réel un morceau, ses auteurs et les détenteurs des droits,
ainsi que leur rémunération en fonction de l’écoute. »

Une offensive fut lancée par Google, qui présenta en avril 2013 son service « Google Play Music All Access », un accès illimité à des millions de morceaux en ligne pour 9,99 dollars par mois, soit le même tarif que Spotify à l’époque. Apple lui emboîta le pas avec un léger retard. Pour le roi du téléchargement depuis le lancement d’iTunes dix ans plus tôt, il fallut un peu de temps pour lancer son propre service, iRadio, durant l’été 2013. Ce retard de la marque à la pomme s’expliqua par les négociations avec les majors, détenteurs des catalogues-clés, qui tiquaient sur l’intention d’Apple de ne leur reverser que 6 cents les 100 écoutes, quand Pandora payait le double ! Il s’agissait de financer des services de radio personnalisée et gratuites financées par la publicité.
C’était bien sûr sans compter sur de nouvelles initiatives offrant de nouvelles approches, comme HypedMusic, service sur mobile gratuit et assez complet, permettant également d’écouter les morceaux hors ligne, ou 8tracks qui misa avec succès sur la mise en ligne de courtes playlists des internautes comme autant de mini-radios offertes en partage.
Le microbloging entra dans la danse avec Twitter#music, mettant en avant autrement les morceaux les plus populaires. Et personne ne fut étonné quand Rhapsody lança un mort-vivant dans la bataille, en ressortant pour la troisième fois de son cercueil, la marque Napster, pour lancer son service 100 % payant en Europe. Même les radios surfèrent sur la vague, à l’instar de Radio France qui lança, toujours en 2013, sa propre plateforme de musique gratuite diffusant des playlists musicales éditorialisées. Pendant ce temps, de petits sites essayaient de nouveaux modèles économiques, comme Arena.com qui assura aux artistes le plus haut taux de royalties de l’industrie. Tous étaient confrontés à un problème majeur : comment aider les internautes à naviguer dans cet océan infini des musiques du monde. En la matière, une nouvelle étape a été vraiment franchie en 2015, avec le Global Repertoire Database (GRD). Conçue par l’ensemble des organismes de gestion des droits et installée à Londres, cette base de metadonnées unique et mondiale regroupe toutes les informations concernant une musique ou une chanson. Cette étape fut décisive pour « tracer » sur la Toile et associer en temps réel un morceau, ses auteurs et les détenteurs des droits.
Désormais, (presque) tout le 5e Art planétaire est disponible et identifié sur cette base de données universelle qu’est l’Internet, accessible tout le temps et en tout lieu, sur tous les terminaux. C’est le bon vieux modèle de la radio et du reversement des droits en fonction de l’écoute qui s’impose aujourd’hui par-delà les frontières, les moyens techniques le permettant enfin. Face aux offres quantitatives, banalisées, se sont enfin développées
des approches qualitatives, personnalisées, proposant aux amateurs des contenus multimédias enrichis associés à de nouveaux supports physiques. La musique est ainsi de nouveau collectionnable, comme le furent en leur temps les vinyles, mais comme ne
le furent jamais les CD. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Fréquences en or
* Directeur général adjoint de l’IDATE.