Jérôme Roger, UPFI et SPPF : « Il est urgent d’aider maintenant la filière musicale, avec la création du CNM »

Le directeur général de l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) et de la Société civile des producteurs de phonogrammes
en France (SPPF), Jérôme Roger, explique ce que la filière musicale – confrontée
au numérique – attend du nouveau gouvernement.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le Centre national de la musique (CNM) est remis en cause par le nouveau gouvernement. Cela vous inquiète-t-il ?
Jérôme Roger :
Dans ses 60 propositions pour la France, François Hollande avait défendu l’idée de la création d’un CNM. Les législatives ont retardé ce dossier. Pourtant, il y a urgence car le tissu des PME et des TPE de la production musicale – devenues structurellement déficitaires, en particulier concernant les nouveaux talents – se trouve dans une situation très fragile. Or, les aides d’Etat et les subventions représentent à peine 2 % à 3 % de l’ensemble des revenus des producteurs de musique. C’est pourquoi, nous venons d’envoyer une lettre au président de la République, au Premier ministre et à la ministre de la Culture et de la Communication pour les alerter sur les difficultés de notre secteur. La question du financement du CNM doit être réglée dans le cadre de la loi de Finances 2013, ce qui nécessite des arbitrages avant fin juillet.

EM@ : Le financement même du CNM, lié à celui du CNC (1) et à la taxe sur les services de télévision (TST) versée par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI),
est contesté…
J. R. :
Sur un budget global de l’ordre de 145 millions d’euros, 95 millions devaient être financés a priori par les FAI et 50 millions par la profession elle-même. Les FAI ont bénéficié d’un transfert de valeur considérable ces dix dernières années, la musique ayant servi de produit d’appel pour le haut débit. Aucune compensation n’est intervenue pour contrebalancer cet enrichissement sans cause ou pour instaurer un compte de soutien à la production musicale financé par les FAI, solution qui a notre préférence. Pendant cette période, le cinéma et l’audiovisuel ont bénéficié d’une extension de la TST à l’activité des FAI (2). Au gouvernement de prendre ses responsabilités afin que le CNM puisse démarrer en janvier 2013. Nous lui demandons également de prolonger le crédit d’impôt (3) à la production phonographique pour trois ans, à compter de 2013.

EM@ : Qu’attendez-vous de « l’acte II de l’exception culturelle » et de la mission confiée à Pierre Lescure ? Redoutez-vous la disparition de l’Hadopi ?
J. R. :
La méthode choisie par le gouvernement constitue un bon point de départ. Car confier une mission pour préparer l’acte II de l’exception culturelle à une personnalité indépendante, Pierre Lescure, rassure les professionnels sur l’absence d’a priori de la part du gouvernement. Le champ de cette mission est assez large. Limiter son périmètre
à l’avenir à l’Hadopi aurait été dommage car la question du financement de la création
et du développement de l’offre légale sur les réseaux en ligne représentent des enjeux majeurs. Sur le fond, je regrette que, durant la campagne, les représentants du PS n’aient cessé de répéter que l’Hadopi n’avait pas rapporté un centime à la création et qu’elle avait créé un fossé entre le public et les créateurs. La réponse graduée, qui n’a jamais prétendu atteindre cet objectif, constitue un repère dans l’esprit des internautes et son rôle pédagogique et dissuasif semble avoir été bien compris. Il faut lui laisser le temps de
se déployer à 100 % avant de tirer des conclusions hâtives.

EM@ : Avec la Sacem, la SCPP et l’Alpa, la SCPP recourt à la « réponse graduée » : seriez-vous favorable au remplacement du volet pénal de la loi Hadopi (coupure d’Internet) par des amendes dissuasives ?
J. R. :
A l’origine, nous étions plutôt favorables à un système d’amendes. Je relève que
la sanction de la coupure d’accès, fut-elle très temporaire, est mal ressentie par une
partie de l’opinion. Nous sommes prêts à en discuter. Ce débat est d’ailleurs théorique, voire surréaliste, car pour l’heure aucun tribunal ne s’est encore prononcé suite à la transmission d’un certain nombre de dossiers par l’Hadopi.

EM@ : Qu’attendez-vous des futurs états généraux sur le financement de la création ?
J. R. :
Nous sommes plutôt en faveur de mécanismes permettant d’améliorer le financement et le développement des oeuvres qu’en faveur de droits à rémunération. Cette deuxième hypothèse risquerait d’ouvrir la voie à un système de licence globale
que nous rejetons, car personne n’a pu m’expliquer jusqu’à présent ce que signifiaient
les échanges « non-marchands ».

EM@ : Craignez-vous le rachat d’EMI par Universal Music, scruté par Bruxelles jusqu’au 6 septembre ?
J. R. :
Le rachat éventuel d’EMI Recording par Universal Music suscite les plus vives préoccupations de la part non seulement des producteurs indépendants européens,
mais également de certaines majors comme Warner Music. Notre organisation européenne Impala a fait valoir auprès de la Commission européenne qu’une telle opération conduirait à une position monopolistique insupportable pour le pluralisme des acteurs de la production musicale (4). C’est pourquoi, nous lui demandons de s’opposer
à tout rapprochement entre Universal Music et EMI Recording. Nous attendons la publication imminente de la notification de griefs pour envisager la suite.

EM@ : Une autre position dominante inquiète la filière de la musique, celle d’iTunes d’Apple…
J. R. :
Il n’est jamais sain qu’un opérateur économique occupe une position aussi dominante sur un marché. Cela étant, il faut rendre grâce à Apple d’avoir créé, en 2004, un modèle économique basé sur le téléchargement à l’acte de la musique enregistrée.
Il serait néanmoins dangereux que les concurrents d’Apple soient marginalisés. Nous n’avons pas été auditionnés par les autorités de la concurrence à ce sujet. Mais le modèle du téléchargement à l’acte n’est plus aujourd’hui le modèle unique de consommation de
la musique en ligne. Les services de streaming illimité par voie d’abonnement, tels que Spotify et Deezer, offrent des perspectives intéressantes à condition de pouvoir assurer un taux de monétisation élevé.

EM@ : Aurélie Filippetti avait évoqué un forfait de 2 euros par mois rajouté aux frais d’inscription universitaire pour les étudiants : êtes-vous favorable ?
J. R. :
La France, où les ventes numériques représentent à peu près 25 % du total des revenus des producteurs, n’a pas encore rattrapé son retard par rapport aux pays anglo-saxons (5). Les dégâts provoqués par la gratuité et la piraterie en ligne ont été beaucoup plus considérables pour la musique que pour le cinéma. La mission Lescure aura à se pencher sur les mesures incitatives au développement de l’offre légale. Et l’idée d’un forfait permettant aux étudiants de s’abonner ou d’avoir accès, pendant une durée temporaire, à des services musicaux est une piste à creuser.

EM@ : L’UPFI est contre une licence globale ou une gestion collective obligatoire, mais pour une rémunération des artistes… J. R. : La licence globale ou la gestion collective obligatoire, comme étant des solutions facilitant l’accès à l’ensemble des répertoires musicaux, sont des non-sens. Il n’y a pas aujourd’hui de problème particulier d’accès au catalogue pour les plateformes légales. L’octroi de licences individuelles n’a
en rien freiné le développement de l’offre légale, en France comme à l’étranger. Le partage équitable de la rémunération entre artistes et producteurs existe déjà (6). Dans le cadre de la médiation « Hoog », les producteurs avaient pris l’engagement de réguler leur pratique concernant la négociation d’avances et de minima garantis avec les plateformes, ce qui concernait surtout les majors. Quant au projet de directive européenne sur la gestion collective, il porte notamment sur la transparence et les questions de gouvernance.
Nous y sommes favorables. @