Le Net Art n’a pas de prix

Cela fait bien longtemps que l’art est sorti du cadre de la toile (pas du Web, celle du peintre !) pour partir à l’assaut de tous les supports, expérimenter toutes les formes plastiques et transgresser les frontières de toutes les disciplines. Le fabuleux XXe siècle a, de ce point de vue, opéré toutes les ruptures. Jusqu’à flirter avec la tentation de la fin de l’art avec, par exemple, la salle vide d’un Yves Klein en 1958, reprise en 2009 dans une exposition un rien provocante au Centre Pompidou, intitulée « Vides, une rétrospective » : neuf salles vides d’artistes différents…
Internet est devenu, pour les artistes, un nouvel outil au potentiel encore à découvrir. L’art y est présent non seulement à travers des créations d’œuvres originales, réalisées pour ce média, mais également via des catalogues ou galeries en ligne. A l’instar des initiatives « Google Art Project », visant à organiser nos visites virtuelles de tous les musées du monde, ou « Web Net Museum », site original dédié à exposer la nouvelle culture numérique. Mais le Net est également devenu, selon les cas, un puissant allié ou un perturbateur du commerce de l’art.

« Au-delà des artistes, c’est bien tout le marché international de l’art qui est bouleversé par les
forces de ‘’désintermédiation’’ du Net »

Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’art en ligne est né bien avant Internet. C’est
ainsi que Roy Ascott, pionnier de l’art télématique, créa sur réseau IP Sharp, une oeuvre éphémère, « La plissure du texte », au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1983. Le Minitel fut également un média que s’approprièrent les artistes comme Fred Forest, pionnier de l’art vidéo puis du Net.art avec son Zénaïde et Charlotte à l’assaut des médias en 1989. D’autres se saisirent d’Internet grand public dès ses tous premiers pas en 1994, avec notamment les œuvres « Waxweb », de David Blair, et « The File Room », de Muntadas, toujours en ligne et en développement.. Dès lors, le nombre et la diversité
des créations sur Internet n’ont cessé de croître de manière exponentielle pour donner naissance à divers types d’œuvres, comme autant de courants, chaque artiste développant sa propre technique, son propre style, sa propre création : statiques, consistant en une ou plusieurs pages HTML et non modifiables par l’internaute ; interactives reposant sur une interaction avec les utilisateurs ; génératives conçues
à partir d’algorithmes mathématiques et produisant des objets de façon automatique ; collaboratives fondées sur la participation, volontaire ou non, des internautes.
Ces œuvres, qui se créent au rythme des innovations techniques, mais surtout au gré de l’imagination des artistes et/ou de l’interaction des internautes, s’exposent également sur tous les écrans. En 2012, les piétons du centre-ville de Nantes pouvaient télécharger des œuvres d’art de jeunes créateurs sur leur smartphone (en scannant des « QR-codes » à chaque coin de rue )pour les partager ensuite sur les réseaux sociaux. De très nombreuses réalisations artistiques s’exposent désormais sur les écrans géants de nos villes, comme cette exposition permanente d’art vidéo sur les écrans du métro de Londres.
Au-delà des artistes, c’est bien tout le marché international de l’art qui est bouleversé par les forces de « désintermédiation » qui sont la marque de la révolution du Net : Artprice permet à tout un chacun de connaître les quotes des artistes ; Artnet se présente comme une véritable place de marché (2.200 galeries dans le monde représentant plus de 39.000 artistes). Mais ne rêvons pas trop : le marché de l’art est encore – pour longtemps ? – cet univers fermé et administré par quelques grandes galeries, une poignée d’experts et de maisons de ventes aux enchères qui organisent un savant ballet autour de la « petite famille » des milliardaires collectionneurs de la planète. Le record de l’oeuvre la plus chère du monde, longtemps détenu par celle, unique, de David Choe, peinte sur un mur du siège de Facebook (lequel l’avait rémunéré en actions valorisées à plus de 200 millions de dollars), est aujourd’hui battu par un ensemble de pixels éparpillés sur la Toile : il s’agit d’une image complexe, créée à l’aide d’algorithmes combinés aux milliards d’actions des internautes sur les réseaux sociaux, qui a donné naissance à une oeuvre qui visualise sur nos écrans 3D les émotions de toute une planète ! Elle n’a pas de prix et personne n’est en mesure de se l’offrir… ou la posséder. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » :
L’économie numérique mondiale
* Directeur général adjoint du DigiWorld Institute by IDATE.