Neutralité du Net : la transposition du Paquet télécom laisse un goût d’inachevé

Bien que la neutralité des réseaux ait été au cœur du Paquet télécom, son principe n’a finalement pas été gravé dans le marbre communautaire. Du coup,
si le processus législatif est terminé, le débat sur sa préservation est loin d’être clos.

Par Rémy Fekete (photo), avocat associé, Gide Loyrette Nouel.

La publication au Journal Officiel, le 26 août dernier, de l’ordonnance de transposition du Paquet télécom (1) met
un point final à un processus législatif débuté près de quatre ans plus tôt. C’est en effet le 13 novembre 2007
que fut engagée une vaste révision de ce Paquet télécom adopté une première fois en 2002. Fruit de deux ans de négociations, cette deuxième version fut finalement votée
fin 2009 à l’issue d’une procédure de conciliation entre le Conseil de l’Union et le Parlement européen.

Priorité à la neutralité
Cet ensemble de textes communautaires est composé d’un règlement – instituant l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) –
et de deux directives modificatives des textes de 2002. Les Etats membres étaient normalement tenus de transposer celles-ci avant le 25 mai dernier mais ils ne furent
que cinq à respecter le délai… Et la France ne figura pas au nombre restreint des bons élèves. Finalement, après avoir fait l’objet d’une mise en demeure par la Commission européenne, elle s’exécuta avec quelques mois de retard via l’ordonnance précitée.
Bien que le terme ne soit pas mentionné une seule fois par les 61 articles composant l’ordonnance de transposition en France, la neutralité du Net est bien au coeur du nouveau dispositif. C’est en tous cas ce que souligne explicitement le rapport correspondant remis au président de la République (2). La neutralité des réseaux fait
ainsi son entrée parmi les objectifs généraux que les pouvoirs publics sont tenus de poursuivre. La notion de neutralité renvoie à l’idée que toute discrimination à l’égard
de la source, de la destination ou du contenu transmis est prohibée. Le législateur européen et son alter ego national ont prévu un certain nombre de garanties qui ont pour conséquence de doter l’autorité de régulation nationale – en l’occurrence l’Arcep (3) en France – d’un rôle central dans la protection de la neutralité des réseaux.
Ce rôle prépondérant, l’Arcep le doit à un élargissement substantiel de ses pouvoirs.
En premier lieu, la réforme porte sur l’élargissement de ses pouvoirs en matière de règlements des différends. Jusqu’alors, la compétence de l’autorité de régulation était circonscrite aux litiges intervenant entre opérateurs télécoms (4). Désormais, ainsi
que le prévoit l’article 17 de l’ordonnance, l’Arcep pourra se prononcer sur tout litige opposant un opérateur de communications électroniques aux entreprises fournissant des services de communication au public en ligne. En d’autres termes, l’ordonnance confère à l’autorité de régulation la compétence de régler des différends opposant un prestataire de la société de l’information et un opérateur. Ainsi, un opérateur de voix sur Internet (VoIP) ou un fournisseur de contenu dont l’interconnexion serait dégradée pourra désormais saisir l’Arcep d’une demande de règlement de différend. L’autorité dispose d’un délai de quatre mois pour se prononcer. Charge pour le demandeur d’apporter la preuve du caractère non équitable des conditions d’accès qui lui sont proposées.

Exigences « minimales », « suffisantes » ?
L’article 18 de l’ordonnance élargit les pouvoirs de sanction de l’Arcep. L’ordonnance supprime ainsi la durée minimale d’un mois accordée à la personne mise en cause pour respecter la mise en demeure (5). On notera cependant que la directive « autorisation » du Paquet télécom prévoyait de doter les autorités de régulation nationale d’un pouvoir d’astreinte avec effet rétroactif à l’encontre des personnes sanctionnées. Cette disposition n’a pas été reprise dans l’ordonnance.
Enfin, le respect du principe de neutralité des réseaux suppose que le gouvernement et le régulateur fixent des obligations en matière d’accès et fassent respecter le principe de nondiscrimination. A cette fin, l’article 16 de l’ordonnance (6) dispose que l’Arcep pourra fixer des exigences minimales imposées aux opérateurs en matière de qualité de service. L’objectif est ici de lutter plus efficacement contre la dégradation du service et le ralentissement du trafic.
L’article L. 36-6 du code des Postes et des Communications électroniques (CPCE) précise que l’Arcep doit préalablement informer la Commission européenne et l’ORECE des motifs et du contenu de ses exigences. Elle devra en retour prendre en compte l’avis de ces deux institutions.

Concurrence, première garantie
Certains ont pu regretter qu’il ne soit fait référence qu’à des exigences « minimales »
et non pas « suffisantes » ou encore que la fixation de telles exigences ne soit qu’une possibilité. Il reviendra à l’Arcep de trancher cette question en s’appropriant pleinement
les opportunités nouvelles que lui offre la transposition du Paquet télécom.
En complément de ces nouveaux pouvoirs conférés aux autorités nationales de régulation, la concurrence est considérée par le législateur européen comme le premier rempart de la neutralité des réseaux. En effet, l’intention des auteurs du Paquet télécom est de garantir une compétition effective en matière de transmission des contenus. Pour ce faire, deux leviers sont utilisés : la régulation symétrique et la séparation fonctionnelle. S’agissant de la régulation tout d’abord, l’objectif de la directive consiste à parvenir progressivement à traiter l’ensemble des opérateurs sans distinction. Ce qui revient à accroître la régulation symétrique (7).
Par ailleurs, s’agissant de la séparation fonctionnelle, l’Arcep dispose désormais de la possibilité de l’imposer lorsque d’importants problèmes de concurrence subsistent.-Il ressort ainsi de l’article 22 de l’ordonnance que le régulateur peut contraindre une entreprise verticalement intégrée à confier ses activités de fourniture de gros des produits concernés à une entité économique fonctionnellement indépendante. Cet outil de régulation ne peut être utilisé qu’en dernier recours, lorsque les autres remèdes n’ont pas permis d’assurer une concurrence effective et que des défaillances persistent sur le marché.
Enfin, l’ordonnance prévoit la création de nouvelles obligations en matière d’information des consommateurs. L’article 33 de l’ordonnance impose ainsi aux fournisseurs d’accès
à Internet (FAI) de mettre à la disposition des consommateurs un total de 13 informations sous une forme claire, détaillée et aisément accessible. On notera parmi celles-ci les trois obligations d’information qui sont en rapport avec la question de la neutralité : le niveau de qualité, les procédures pour mesurer et orienter le trafic et les restrictions de l’accès à des services et à leur utilisation. L’objectif est de permettre au consommateur de bénéficier de la concurrence en changeant d’opérateur ou de FAI, grâce aux informations pertinentes mises à sa disposition. Une information plus transparente devrait permettre d’intensifier une concurrence effective sur le marché et encourager une meilleure protection de la neutralité des réseaux.
Les travaux conduisant à l’adoption du Paquet télécom et à sa transposition ont été l’occasion d’un vaste débat sur la question de la neutralité des réseaux. Tant la Commission européenne que l’Arcep, le gouvernement ou encore le Parlement français se sont emparés du sujet à travers des colloques, rapports et autres missions d’information. Même si le débat est loin d’être clos, l’effervescence des réflexions sur le sujet donne un certain goût d’inachevé aux mesures retenues.
On peut ainsi regretter que le terme même de « neutralité du Net » ne soit pas défini par le législateur européen, lequel a également renoncé à graver dans le marbre la protection de la neutralité en rejetant l’amendement 138 (8). Assurant qu’aucune restriction d’accès à Internet ne pouvait être imposée sans décision judiciaire préalable, le fameux amendement, une fois adopté, aurait consacré le respect du principe de neutralité des réseaux. Le Parlement européen en a décidé autrement (9).

L’exemple des Pays-Bas
S’agissant de la transposition, l’exécutif français a choisi de ne pas aller plus loin que le Paquet télécom. L’exemple des Pays-Bas devenus le premier pays européen à inscrire dans son droit national une protection de la neutralité du Net, n’a pas été suivi. Si l’ordonnance du 24 août 2011 constitue le point final du Paquet télécom deuxième version, la réglementation relative à la neutralité du Net reste encore à écrire. @