Décret SMAd : le CSA pourrait proposer des modifications à partir de juin 2012

Le CSA a environ un an pour élaborer son rapport sur l’application du décret
SMAd (VOD, TV de rattrapage, SVOD, …), entré en vigueur il y a maintenant huit mois, et le transmettre au gouvernement. Avec, à la clé, d’éventuelles modifications.

Par Christophe Clarenc (photo), associé, et Elsa Pinon, collaboratrice, August & Debouzy

Depuis l’entrée en vigueur, au 1er janvier dernier, du décret daté du 12 novembre relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAd), il revient au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de contrôler l’application
de cette réglementation et de veiller au développement économique de ces nouveaux services.

 

La viabilité économique des SMAd en question
Ce décret impose aux services de médias audiovisuels à la demande des obligations
en matière d’exposition des œuvres européennes et françaises, ainsi que de soutien au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. A ce titre, et en vue d’une consultation publique qu’il a lancée jusqu’au 31 octobre, le CSA a commandé à l’Idate (1) une étude sur les modèles économiques des SMAd actifs sur le marché français. A savoir : vidéo à la demande à l’acte ou par abonnement et télévision de rattrapage, ces deux types de services pouvant être exploités sur Internet ou sur un téléviseur en réseau « managé » de type ADSL/IPTV, câble ou fibre optique (2). Sur la base des contributions écrites reçues, le CSA pourra rendre – entre juin et décembre 2012 – au gouvernement un rapport sur l’application des dispositions du décret SMAd.
Et ce, afin de « proposer, le cas échéant, les modifications destinées à les adapter à l’évolution des SMAd et aux relations entre les éditeurs de ces services, les producteurs et les auteurs » (3).
Le CSA estime que la réalisation des objectifs de promotion de la diversité culturelle contenus dans le décret (4) dépend pour une large part de l’équilibre économique de ces services. Or, dans son avis rendu il y a un an sur le projet de décret relatif aux SMAd (5), le CSA avait exprimé des craintes quant à la compétitivité des SMAd français au vu des charges que cette réglementation envisagée leur imposait. La loi applicable aux SMAd étant celle de leur pays d’origine, le CSA s’inquiétait en particulier du niveau élevé et de l’absence de progressivité de la contribution au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes et d’expression originale française.
Le CSA jugeait ces obligations « excessives » et de nature à entraver le développement des SMAd en France, à les pénaliser face à la concurrence de services étrangers et à encourager la délocalisation hors de France.
Si le décret SMAd a tenu compte de certaines de ses préoccupations, notamment quant à la progressivité des contributions financières (6), les disparités entre les différentes réglementations européennes laissaient subsister un doute sur la viabilité des SMAd « à la française ». L’étude menée par l’Idate vient ainsi préciser leur fonctionnement économique.

Panorama des différents services audiovisuels :
• Les services de vidéo à la demande (VOD) permettent de visionner des programmes, quatre mois après leur diffusion en salle pour la VOD à l’acte, « au moment choisi par l’utilisateur et sur demande individuelle sur la base d’un catalogue de programmes sélectionnés par le fournisseur de services » (7). Le marché français de la VOD est un marché naissant en forte croissance, occupé par trois principaux acteurs (24/24 Vidéo d’Orange, Club Vidéo de SFR, CanalPlay), bien que d’autres acteurs soient également présents (TF1 Vision, Free Home Vidéo et iTunes).

Contrainte de la chronologie des médias
Ces services payants se développent majoritairement via le téléviseur, bien qu’ils aient une forte présence sur l’Internet ouvert, et sont proposés selon trois types de modèles tarifaires : la location à l’acte qui permet de visionner un programme plusieurs fois pendant un temps limité (entre 24 et 48 h), la location sur abonnement mensuel (ou SVOD (8)) qui donne accès à un catalogue de programmes, et l’achat à l’acte qui permet de télécharger un programme de façon définitive. Cependant, les transactions sont essentiellement centralisées autour de la location à l’acte en raison du peu d’offres de téléchargement définitif ou d’abonnement dans ce domaine. En France, la contrainte réglementaire que représente la chronologie des médias empêche en effet d’offrir à l’abonnement un service de vidéo à la demande moins de 36 mois après la sortie du film en salle (9).
• La télévision de rattrapage (ou catch up TV) permet pour sa part de revoir un programme pendant sept jours (10) à compter de sa diffusion à la télévision. Proposé gratuitement par la plupart des chaînes, ce service a été particulièrement bien adopté par les jeunes de 15-24 ans qui privilégient la consommation de séries américaines. Ainsi, la télévision de rattrapage vient en complément des usages de télévision classique, sans y porter atteinte, car ce service est essentiellement disponible sur ordinateur via Internet, même s’il commence à se développer de plus en plus sur les réseaux « managés ».

Des modèles économiques et des coûts
Les revenus des services de VOD sont constitués par les tarifs de location, d’achat ou d’abonnement des vidéos proposées. Les deux plus gros postes de dépense de ces services sont : la commission versée à l’opérateur de réseau, qui couvre la diffusion de l’offre, les coûts techniques et la mise à disposition par l’opérateur de son portefeuille de clients et de son système de facturation ; les achats de droits, qui combinent un partage des recettes avec les ayants droits du contenu assorti d’un minima garanti.
Les services de VOD doivent s’acquitter de diverses taxes et prélèvements tels que : la taxe sur la vidéo à la demande au titre du soutien au cinéma et à l’audiovisuel (TSV) ; les reversements aux sociétés de gestion des droits d’auteur.
L’accès aux services de télévision de rattrapage sur Internet étant gratuit (11), l’essentiel des revenus de ces services provient de l’exploitation de la publicité diffusée sur les sites concernés. Les services de télévision de rattrapage sur réseau « managé » perçoivent en outre une rémunération annuelle de la part des opérateurs de réseau pour la reprise de leurs offres. Ils font face à de nombreux coûts techniques (bande passante, stockage, transcodage), ainsi qu’à des coûts d’acquisition de contenus sous forme d’achats de droits. Ils supportent en outre diverses taxes comme la taxe sur les éditeurs et distributeurs des services de télévision, la taxe sur la publicité et les reversements aux sociétés de gestion des droits d’auteurs.
L’étude constate que les taux de marge brute des différents SMAd sont très hétérogènes, en raison de leurs structures de coûts différentes. Elle tire de ce constat diverses observations et suggestions sur l’avenir des SMAd. Le développement du téléviseur connecté serait ainsi susceptible de mettre en péril l’avenir des services de VOD sur réseau « managé ». Ces derniers doivent en effet verser à l’opérateur de réseau une commission qui représente une part du chiffre d’affaires bien plus importante (29 %) que les coûts techniques engendrés par la distribution sur l’Internet ouvert (8 %). De plus, le montant des reversements aux ayants droits est calculé sur le prix de vente public avant déduction de la commission. La solution Internet apparaît ainsi plus attractive pour les éditeurs. Et ce, même si les coûts techniques devaient augmenter significativement pour la diffusion sur téléviseur connecté.
La question de la viabilité des services de VOD par abonnement est également soulevée. Leur attractivité dépend notamment pour les éditeurs du système de rémunération des ayants droits (12) et pour le consommateur de la fraîcheur du contenu. Or, dans le système français de chronologie des médias, la fenêtre de la VOD par abonnement ne s’ouvre que 36 mois après la sortie en salle. Avancer cette fenêtre de diffusion à 24 mois apparaît dès lors plus opportun souligne l’étude, au risque de bouleverser le système de chronologie des médias en place.
Concernant la télévision de rattrapage, l’étude propose une plate-forme commune qui agrégerait les offres des principales chaînes de télévision sur l’Internet ouvert et permettrait ainsi de réaliser des économies d’échelle non négligeables tout en facilitant l’accès des consommateurs à une offre centralisée.

Réduire la TVA, augmenter les marges
Enfin, certains pays d’Europe appliquent un taux réduit de TVA aux SMAd (13). Cela peut causer un déséquilibre concurrentiel au détriment des SMAd français qui restent soumis au taux normal de TVA à 19,6 %. L’étude suggère donc de baisser la TVA des services de VOD sur Internet, ce qui permettrait de proposer les programmes à un prix réduit ou d’augmenter la marge, tout en profitant aux ayants droits qui bénéficieraient alors d’une rémunération supérieure (14). Il ressort également de l’étude que, contrairement aux craintes initialement énoncées par le CSA, la TSV ne crée pas de distorsion significative de concurrence vis-à-vis de services extra-nationaux, dans la mesure où elle inclut les reversements aux ayants droits. @