Comment le Cloud computing va décloisonner les droits d’auteurs et la copie privée

Le nuage informatique qui se forme sur les médias et les industries culturelles, pourrait tourner à l’orage et provoquer la foudre sur la gestion restrictive des droits d’auteurs et la « taxe » pour copie privée déjà bien contestée. Débats houleux en perspective au CSPLA.

Consulter tous ses contenus culturels ou ses médias – musiques, films, journaux, radios, chaînes, livres, vidéos, photos, réseaux sociaux, etc. – sans qu’ils soient localisés sur le disque dur ou la mémoire flash de n’importe lequel de ces terminaux
y ayant accès : voilà ce que le « cloud » offre maintenant au grand public. Cette possibilité de dématérialiser le stockage de ce que l’on pourrait appeler sa
« multi-médiathèque » et d’y accéder à distance, quels que soient le terminal, le lieu
et le pays où l’on se trouve, voire en partageant des contenus sur les réseaux sociaux, relève de la boîte de Pandore pour les ayants droits.

Le CSPLA réactivé après deux ans
Les enjeux sont tels que le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), qui s’est réuni le 16 juin, après trois ans d’interruption, a mis le nuage informatique à l’ordre du jour de sa prochaine réunion fixée le 6 octobre. Y participent notamment des représentants de l’Association des services Internet communautaires (Asic) avec Giuseppe de Martino et Benoît Tabaka, ainsi que de la Fédération française des télécoms (FFT) avec Dahlia Kownator (1). C’est d’ailleurs la seule instance parapublique qui réunit ayants droits, producteurs, éditeurs, radiodiffuseurs, télédiffuseurs, plates-formes web, fournisseurs d’accès à Internet, opérateurs télécoms et consommateurs. Une commission sera même créée sur la question du nuage, même
si « cela reste très brumeux (nuageux ?) à ce stade ! », comme l’indique un de ses membres à Edition Multimédi@… Il y a pourtant urgence. Le nuage informatique accélère la mondialisation de la diffusion des œuvres et abolit un peu plus encore les frontières numériques que le Web tentait, tant bien que mal, de préserver au regard des droits de diffusion nationaux (2), la gestion des droits d’auteur se faisant encore pays par pays, par terminaux ou encore par plates-formes. Pour limiter l’accès à des sites web, en raison des restrictions de droits de propriété intellectuelle et des accords de diffusion (3), les éditeurs de services en ligne sont tenus – par les ayants droits – d’identifier tout internaute d’où qu’il vienne de par le monde. Et ce, à l’aide de son adresse IP – pourtant considérée comme une donnée personnelle par la Cnil (4). Le cloud computing à portée de clic pourrait remettre en question ces barrières virtuelles : qu’advient-il lorsque l’on stocke à distance un contenu dans une « ferme » informatique située dans un pays donné où, justement, il n’y a pas de droits de diffusion, ni d’autorisation d’exploitation des œuvres en question ? « Le nuage informatique pose problème sur la chaîne des droits. Il y a un risque », estime Mathieu Gallet (5), président de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Une appréhension que partage Maxime Saada, directeur général adjoint du groupe Canal+ : « Des acteurs américains, comme Netflix, ont la capacité d’acquérir des contenus, mais quelles conséquences
sur le partage de la valeur et la chronologie des médias ? ». En tant que représentant d’ayants droits, Pascal Rogard, DG de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) affirme que, au-delà de cette expression « tellement poétique »,
« le nuage informatique pose des problèmes en termes de sécurisation et de création ». Selon lui, « les systèmes de financement de la création vont devoir être adaptés aux technologies et aux usages, mais cela n’est pas nouveau ». Les recettes
du financement des films et des programmes audiovisuels, par exemple, sont gérées
par le CNC (6) et son Cosip (7). Une piste est de « regrouper les sociétés d’auteurs de l’audiovisuel pour pouvoir traiter au niveau de YouTube, par exemple, des licences générales sur l’ensemble des territoires ». Pascal Rogard s’interroge, en outre, sur les limites du nuage au regard de la copie privée : « Pour délocaliser dans le cloud, est-ce que je passe dans le régime des droits exclusifs ? ». La copie privée, cette exception aux droits d’auteur, permet en effet à tout un chacun de reproduire des œuvres dans
le cadre déjà assez flou du « cercle familial », que la jurisprudence a déjà élargi aux
« personnes ayant des relations habituelles » avec la famille. Avec les centres de stockage informatique délocalisés à l’étranger, la copie privée entre dans une troisième dimension. La commission « Hadas-Lebel » pour la rémunération de la copie ira-t-elle jusqu’à taxer le « cloud familial » que Netgem propose aux FAI d’installer dans les foyers ?

Copie privée : taxer le nuage ?
« Le droit ou la fiscalité applicable devrait être celui du pays où s’exerce la prestation et où sont consommés les contenus », estime le DG de la SACD. Pour Microsoft, « c’est au législateur d’être suffisamment agile pour taxer au bon endroit et faire respecter les droits de chacun », lance Jean Ferré, son directeur de la division Plateforme et Ecosystème pour la France. Et pour Frédéric Sitterlé, président de MySkreen, « il faut, avec le cloud, rester sur terre et rémunérer les créateurs ». @

Charles de Laubier