La bataille entre IPTV et Web pour prendre le contrôle de la télévision connectée est engagée

Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), distributeurs, via leurs box, de chaînes
de télévision auprès de 10 millions d’abonnés en France, entendent préserver leurs positions face à l’arrivée dans les logements des fabricants de téléviseurs connectés, lesquels font alliance avec les géants du Web.

Le président de MySkreen, Frédéric Sitterlé, a affirmé au colloque NPA du 23 juin
que les « box » des FAI allaient « disparaître » au profit de la TV connectée, comme
le Minitel a laissé place à Internet ! Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom sont actuellement les maîtres dans les foyers connectés, pour ne pas dire en quasi-monopole : 95,2 % des abonnés au haut débit en France le sont en effet par un
accès ADSL et la barre des 20 millions de ces abonnements haut débit (20.250.000 exactement) a été franchie pour la première fois au premier trimestre 2011.

Position dominante de l’IPTV/ADSL
Sur ce parc ADSL sans équivalent dans d’autres pays, le taux des abonnements TV
a dépassé – selon nos calculs (1) – les 55 %, soit plus de 11 millions d’abonnés télé grâce à la bonne vieille paire de cuivre historique. Et ce n’est pas fini : l’oligopole de ces quatre opérateurs d’IPTV (2) continuent avec leurs offres multi play d’engranger des abonnés : sur un an – de mars 2010 à mars 2011 –, la croissance de 7 % se traduit par 1,34 million d’abonnés ADSL de plus (3). « Nous avons les moyens techniques de donner accès au Web par notre “box” sur le téléviseur mais nous ne le faisons pas car nous avons un contrat commercial avec les chaînes de télévision que nous distribuons en ligne. Aussi, nous ne pouvons pas mélanger le signal TV avec des accès au Web », a expliqué Jérémie Manigne, DG innovation, services et contenus, membre du comité exécutif du groupe SFR, intervenant lors du 10e Forum des Télécoms et du Net organisé par Les Echos les 16 et 17 juin dernier. Cette situation unique au monde complique la tâche des acteurs du Web et des fabricants de téléviseurs connectés (Samsung, LG, Sony, Philips, …), voire des fabricants de consoles de jeux (Microsoft/Xbox360- Kinect, Nintendo/Wii U, Sony/PSP3, …).
Aucun des FAI de l’ADSL en France ne propose sur le poste de télévision, via la box,
une ouverture sur le Web – excepté pour Free mais de façon limitée. Bref, Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom divisent le flux de la ligne téléphonique en trois pour mieux régner dans la maison connectée. Mais cette mainmise des FAI est remise en cause par les nouveaux entrants du PAF (4). YouTube, Facebook, Yahoo, Dailymotion, Microsoft, voire à terme en Europe, Google TV, Apple TV, Hulu ou encore Netflix, sont autant de géants du Net dits Overt-The-Top (OTT) : ils veulent proposer directement aux « télénautes » – sans passer par les services managés des FAI et les grilles des chaînes de télévision – leurs plateformes et contenus audiovisuels (vidéos, musiques, films, …), le tout organisé en médias sociaux (Social Media). De quoi déstabiliser un PAF déjà en cours de recomposition avec la montée en puissance de la TNT (5). Mais en France, plus que partout ailleurs, l’ouverture se fera difficilement sans composer avec le duo FAI-TV (6). « Avec nos “box”, l’IPTV est en avance sur les Google TV comparé aux Etats-Unis. Avec les chaînes, nous proposons des services innovants. Et si elles veulent Internet sur le flux live, nous sommes prêts à être leur partenaire si elles le souhaitent. (…) La “box” garde en tout cas une place centrale », a poursuivi Jérémie Manigne (7). Les éditeurs de chaînes de télévision, qui sont satisfaits de leurs accords de distribution signés depuis deux ou trois ans avec les différents FAI, ne veulent pas bousculer cet écosystème qui, de leur point de vue, n’a rien à envier au Web. « La TV connectée existe déjà grâce aux “box” qui touchent déjà des millions de foyers. Les opérateurs [comprenez les FAI et leur IPTV, ndlr] sont encore en position de force », a estimé Gilles Maugars, directeur général adjoint technologies et systèmes d’information du groupe TF1, lequel a passé dès décembre 2009 un accord avec Samsung dans la TV connectée – accord élargi à TF1 vision depuis juin. Mais il ne s’agit pas là de laisser le Web envahir l’écran télé mais de proposer – en surimpression du signal de la chaîne – un catalogue de vidéos en VOD suggérée de manière “contextualisée” par rapport au flux de l’antenne. « On est pas 3h40 par jour devant son poste de télévision pour faire de l’Internet ! Si TV connectée il y a, on ne va pas naviguer sur le Web à partir de la
télé », a-t-il affirmé.

Naviguer sur le Web de sa télé ?
Pour France Télévisions, qui a mené des tests HbbTV (8) à Roland Garros en mai, l’ouverture sur Web semble inéluctable comme l’a expliqué Eric Scherer, directeur
de la prospective, de la stratégie numérique et des relations internationales liées aux nouveaux médias de la chaîne : « la télévision connectée est l’événement majeur de l’année dans le monde pour enrichir nos contenus (“contextualisation”, interactivité, rajeunissement de l’audience), mais il reste à défricher et à trouver le modèle économique. » @

Charles de Laubier