Prendre le numérique à la lettre

Une semaine de vacances, et c’est encore et toujours l’occasion de faire un clin d’œil amical à nos proches, en
leur faisant partager nos coups de cœur le temps d’une carte postale. Celle-ci viendra illuminer une boîte aux lettres qui n’a plus si souvent l’occasion de s’émerveiller. Le courrier se fait rare en ces temps de bourrasques numériques. Les faits sont implacables qui, année après année, ont vu s’effriter
les piliers de la poste que nous avions toujours connus.
Les postes états-uniennes ou françaises, qui distribuaient chaque année respectivement plus de 170 milliards et plus de 19 milliards d’objets, ont connu une baisse régulière des volumes traités, de plus de 20 % en dix ans. Le courrier des particuliers, qui représentait moins de 17 % de l’ensemble des revenus des envois
de correspondance en 2010, a encore vu sa part décliner en raison de l’accélération
de la dématérialisation des communications personnelles. On n’a jamais autant communiqué qu’aujourd’hui, mais différemment des époques précédentes.

« Nous commençons à nous envoyer des cartes personnalisables sur papier électronique souple utilisant les dernières générations d’encre numérique. »

Il en fut de même pour les courriers professionnels, qui ont vu leurs volumes fondre au
fur est à mesure que des solutions numériques concurrentes sont apparues, comme dans le cas des recommandés. Le maintien relatif des envois publicitaires et des colis postaux, qui bénéficièrent un temps de l’essor irrésistible du e-commerce, n’ont pas pu enrayer ce déclin. Notre fragile carte postale a été, elle aussi, emportée par la tempête virtuelle. Il est loin son âge d’or, quand – un peu plus de 40 ans après son invention
par un conseiller d’état prussien Von Stephan – il s’en vendait en France plus de 800 millions d’exemplaires pour la seule année 1914. Avec un peu plus de 300 millions distribués en 2010, les cartes postales ont su rester les témoins fidèles de nos vacances en se réinventant pour ne pas disparaître. Des e-cards accessibles sur Internet aux cartes auto-produites sur un smartphone, nous commençons aujourd’hui
à nous envoyer des cartes personnalisables sur papier électronique souple utilisant
les dernières générations d’encre numérique.
C’est peu dire que nos bonnes vieilles postes ont été soumises à rude épreuve. Dans
la foulée de la libéralisation complète du service postal, qui eut lieu le 1er janvier 2011 pour la France, nous nous demandions à quelle portion congrue le service postal universel serait bientôt réduit (comme cela arriva en son temps à la cabine téléphonique). Et que resterait-il des bureaux de postes pourtant garants d’un certain niveau de lien social pour les communes les plus démunies ? La réponse, pour la plupart des postes du monde entier confrontées à une plus grande concurrence, a tenu dans un dosage complexe de rigueur budgétaire, de travail sur leur métier de base et d’ouverture à de nouveaux services innovants. Elles ont redoublé d’efforts pour marier leurs produits historiques avec les nouvelles possibilités du numérique. Tandis que le britannique Royal Mail lançait en 2010 le premier timbre intelligent permettant à un smartphone de lire des informations embarquées grâce à l’application Junaio, la poste finlandaise testait un nouveau mode de distribution : les lettres, une fois ouvertes, sont scannées, puis envoyées en PDF par mail à leurs destinataires. En France, La Poste lançait au même moment un nouveau service, Digiposte, donnant accès à une boîte mail sécurisée, ainsi qu’à un coffre fort virtuel permettant à chacun d’archiver toutes sortes de documents : courrier, factures, bulletins de paie, relevés bancaires…
Il est bien révolu ce temps où une marquise enchantait l’Europe de ses lettres et où
un Voltaire inondait ses contemporains d’un flot épistolaire étourdissant. Se souvient-on encore que, pour faire passer un ou deux sacs de lettres, quelques héros de l’Aéropostale défiaient dans leurs avions de toiles les océans, les cimes et les déserts. François, le facteur de Jacques Tati, qui pouvait en 1949 se lancer dans une folle tournée à l’Américaine le temps d’un inoubliable jour de fête, regarderait bouche bée ce lointain cousin du futur se déplaçant en véhicule électrique. Ce nouveau facteur rend des services qui vont désormais bien au-delà de la livraison de quelques lettres et d’un
journal autrefois tant attendus. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Les opérateurs télécoms
* Directeur général adjoint de l’Idate.