La neutralité d’Internet : « Oui à la discrimination efficace et transparente ! »

Nicolas Curien et Winston Maxwell publient le 10 février prochain aux éditions
de La Découverte « La neutralité d’Internet », dont Edition Multimédi@ dévoile
les bonnes feuilles. Ils se prononcent pour la « discrimination » des contenus
en ligne si elle est « efficace » et « transparente ».

L’un est membre du collège de l’Arcep et diplômé de l’Ecole Polytechnique et de Télécom Paris ; l’autre est avocat associé au cabinet Hogan Lovells et un des six du
« groupe d’experts sur la neutralité de l’Internet » désignés il y a un an par l’ancienne secrétaire d’Etat à l’Economie numérique (1). Nicolas Curien et Winston Maxwell sont coauteurs de « La neutralité d’Internet », un ouvrage de 128 pages.

Pour un « concept de quasi-neutralité »
Le sujet est sensible au moment où l’Assemblée nationale commence à travailler
sur le projet de loi Paquet télécom (2) d’ici au mois de mai, alors que la Commission européenne prépare une communication pour mars prochain. A paraître en février,
cet ouvrage donne le ton : « Non à la discrimination anticoncurrentielle, oui à la discrimination efficace et transparente ! », lancent les deux experts. « Interdire toute forme de discrimination, au nom de la neutralité, serait à la fois irréaliste et nuisible au bon fonctionnement d’Internet. A l’inverse, autoriser toute discrimination serait pareillement indésirable », expliquent- ils. Autrement dit : « En matière de gestion du trafic sur les réseaux des opérateurs, la discrimination est légitime si elle sert un objectif d’efficacité et illégitime si elle vise un objectif anticoncurrentiel ». Parmi les mesures de discrimination efficace, les deux auteurs placent en tête celles de la gestion du trafic –
« qui, par essence, sont non neutres » – pour faire face aux risques de « congestion » ou d’« attaque » sur Internet. En raison de ces « impératifs » et « contraintes », « un réseau ne peut rester parfaitement neutre ». Ils parlent alors du « concept de quasi-neutralité ».
La discrimination efficace consiste aussi pour les opérateurs de réseaux à proposer aux internautes ou aux éditeurs des « qualités différenciées, assortis de barèmes tarifaires étagés : plus haute est la qualité de transport, plus le prix est élevé ». Ils justifient aussi cette discrimination efficace par diverses raisons : financement des réseaux, partage des coûts, lutte contre les contenus illicites et l’insécurité. Au-delà de la question économique de savoir si les fournisseurs de contenus doivent rémunérer les FAI (3)
« à travers la facturation de canaux premium ou l’instauration d’une terminaison d’appels data », les coauteurs insistent plus sur les « effets externes négatifs » de l’explosion du trafic de données. A savoir : la montée de « l’insécurité en ligne » et
« la prolifération des contenus illicites ». Reste à savoir « comment lutter contre ces phénomènes, tout en préservant la neutralité des réseaux ? ». Ils expliquent que le principe fondateur de « best effort » de l’Internet admet déjà des exceptions. « Pour combattre les attaques et le spaming, des équipements spécifiques, utilisant par exemple la technologie DPI (Deep Packet Inspection), opèrent sur les couches hautes [du réseau]. (…) Le protocole TCP/IP natif et ses évolutions permettent d’offrir un traitement prioritaire, ou “priorisation” », précisent-ils. Sur les contenus illicites, Nicolas Curien et Winston Maxwell citent les Etats-Unis où « l’énoncé du principe de neutralité circonscrit le droit de libre-accès à l’information au périmètre des seuls contenus
légaux ». Et les FAI américains peuvent prendre « des “mesures raisonnables de gestion du réseau” (4), dont les actions visant à empêcher l’accès aux contenus
illicites ». Si la restriction au principe de Net Neutrality pour lutter contre le piratage
sur Internet n’a pas suscité de forte réaction outre- Atlantique, ils soulignent qu’« en Europe, et singulièrement en France, le sujet s’est en revanche révélé extrêmement sensible ». Et que « l’intervention des FAI dans la lutte contre le téléchargement illégal [loi Hadopi, ndlr], ou contre la mise en ligne de contenus illicites comme la pédo-pornographie [loi Loppsi, ndlr], est extrêmement controversée ». Par exemple, la crainte du filtrage des contenus sur le Web y est plus exprimée qu’ailleurs. « Mettre en place un processus de filtrage, c’est indéniablement ouvrir la boîte de Pandore », conviennent Nicolas Curien et Winston Maxwell.

Puissance insoupçonnée des “citoyens”
Les auteurs citent non seulement des organisations de « citoyens », comme la Quadrature du Net, qui militent pour les libertés fondamentales, mais aussi des
« citoyens ultra » qui revendiquent « le droit de télécharger librement des œuvres protégées ». Rappelant qu’un amendement Bono (5) avait retardé d’un an le Paquet télécom, l’avocat et le X-Télécom constatent que « la puissance insoupçonnée des “citoyens” (…) ne pourra plus désormais être ignorée ». La « transparence » vis-à-vis des internautes, le « consentement express de l’abonné », voire les « mesures contractuelles » entre le FAI et son client sont autant de pistes explorées par cet ouvrage qui tente de calmer le jeu. @

Charles de Laubier