Vers une « exception culturelle » fiscale pour les œuvres vendues en ligne en Europe ?

La Commission européenne a lancé une consultation – jusqu’au 31 mai 2011 – en vue de réformer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). La question est notamment de savoir s’il faut un taux réduit sur tous les biens culturels, livres et presse compris, vendus sur Internet.

« Distorsion de concurrence », « obsolescence d’un droit communautaire qui n’a pas pris en compte les effets de la révolution numérique », « situation préoccupante »,
« frein au développement de la nouvelle économie », « concurrence aiguë de la part d’entreprises globales non européennes », « retards ». C’est en ces termes que le président Nicolas Sarkozy, fustige la « fiscalité culturelle » en Europe.

Jacques Toubon et le livre vert « TVA »
« Les journaux et périodiques, la fourniture de livres et la réception de services de radiodiffusion et de télévision bénéficient de cette disposition et se voient appliquer un taux réduit de TVA en France. En revanche les disques, la vidéo et les services en ligne, y compris la presse en ligne et les livres numériques (…) sont exclus du bénéfice d’un taux de TVA minoré et sont soumis au taux normal (19,6 %) », explique le chef de l’Etat à Jacques Toubon qu’il a missionné le 9 décembre sur « les défis de la révolution numérique au règles fiscales européennes ». Contacté par Edition Multimédi@, ce dernier explique que « l’objectif de [sa] mission, au-delà du taux réduit sur la presse et le livre numérique, à court terme, est de concrétiser le principe et la diversité culturelle dans le régime définitif de la TVA qui sera établi en 2015 ». Cette mission a en fait été lancée quelques jours après que la Commission européenne a ouvert – jusqu’au 31 mai 2011 – une consultation sur la base du Livre vert sur l’avenir de la TVA, publié le 1er décembre dernier. « Il subsiste des incohérences dans les taux de TVA appliqués à des biens ou services comparables. Ainsi, les États membres peuvent appliquer un taux réduit à certains biens culturels. Mais ils doivent appliquer le taux normal aux services en ligne concurrents de ces biens, comme les livres ou les journaux électroniques », y constate déjà l’exécutif européen, qui a, dès mai dernier, affirmé que « les défis de la convergence entre les environnements numériques et physiques doivent être pris en compte à l’occasion de tout réexamen de la politique générale, y compris en matière fiscale » (1).
Pour remédier à ce qui peut être perçu comme une « entrave » au marché unique et à
une « distorsion de concurrence », la Commission pose d’emblée une alternative dans son livre vert : « Pour mettre un terme à cette discrimination, il existe deux solutions : maintenir le taux de TVA normal ou transposer dans l’environnement numérique les taux réduits existants pour les biens sur supports traditionnels ». Les Vingt-sept ont encore cinq mois devant eux pour répondre notamment à cette question : préféreriez-vous qu’il n’y ait pas de taux réduits (ou qu’il en existe simplement une liste très courte) ou seriez-vous favorable à la création d’une liste de taux réduits de TVA obligatoire et uniformément appliquée dans l’Union européenne ? Pour l’heure, la France s’impatiente : le gouvernement s’est rallié le 8 décembre à la décision du Sénat – dans le cadre de la loi de Finances 2011 – d’abaisser le taux de TVA sur le livre numérique
à 5,5 % au lieu de 19,6 %, « au nom de l’exception culturelle française ». Or, le lundi
6 décembre, le gouvernement s’était d’abord opposé à cette baisse en la considérant
« contraire au droit européen » (2). En changeant d’avis, la France veut-elle faire pression sur les Vingt-sept ? Contactée par Edition Multimédi@, la porte-parole du commissaire européen Algirdas Semeta, en charge de la fiscalité et de la lutte antifraude (3), est formelle : « Les taux réduits (…) s’appliquent uniquement aux biens et services tels que définies dans l’annexe de la directive “TVA”. Comme les livres numériques ne sont pas mentionnés dans cette annexe, ils ne peuvent pas bénéficier du taux réduit de TVA ».
Et Emer Traynor d’ajouter : « Sur la base des réponses reçues, la Commission européenne présentera les priorités en vue d’un futur système de TVA dans une communication qu’elle publiera à la fin de l’année 2011. Néanmoins, ce livre vert n’autorise pas les Etats membres à prendre des libertés avec l’application de la directive TVA ».

Il faudra l’unanimité des Etats membres
Quoi qu’il en soit, Neelie Kroes – commissaire européenne en charge de la stratégie numérique – avait indiqué être favorable à un taux réduit sur les livres numériques et à d’autres biens culturels. « Il est vrai qu’il existe actuellement des divergences dans les taux de TVA appliqués à des produits ou services comparables », nous avait-elle dit dans une interview fin novembre (4). Mais la difficulté de l’Union européenne va être
de mettre d’accord les Vingt-sept sur une harmonisation de la fiscalité des œuvres culturelles vendues sur Internet. Car toute modification de la législation communautaire sur la TVA requiert l’unanimité des Etats membres. @

Charles de Laubier