Presse française : l’indépendance et la rentabilité de Mediapart donnent matière à réfléchir

Mediapart est plus que jamais un média à part en France, tant par sa rentabilité en 2019 (bénéfice net de 2,3 millions, 16,8 millions d’euros de chiffre d’affaires et près de 170.000 abonnés) que par son indépendance (capital détenu non par des actionnaires mais par un fonds de dotation unique).

Cela fera six mois, le 15 avril prochain, que Mediapart n’a plus d’actionnaires. Et il ne s’en porte pas plus mal, bien au contraire ! Les quatre fondateurs – Edwy Plenel (photo de gauche), Marie-Hélène Smiejan-Wanneroy (photo de droite), François Bonnet et Laurent Mauduit – ne détiennent plus de parts du capital de la société éditrice du site web d’information Mediapart. Jusqu’au 15 octobre 2019, ils la détenaient à hauteur d’un peu plus de 42 % et au sein d’un « pôle d’indépendance » totalisant avec les salariés et les amis actionnaires 62 % du capital.

Remboursements financiers d’ici 2026 et 2027
De même, les deux investisseurs historiques – présents depuis le lancement de Mediapart en 2008 – à savoir Doxa (31,81 %) et Ecofinance (6,32 %) – ne sont plus actionnaires eux-aussi. L’ensemble de leurs parts (fondateurs, investisseurs, salariés et amis) ont été rachetées à l’automne dernier par la Société pour la protection de l’indépendance de Mediapart (Spim), elle-même propriété du Fonds pour une presse libre (FPL), lequel fonds de dotation a été créé par l’Association pour le droit de savoir (ADS) et déclarée au Journal Officiel du 14 septembre 2019 (1).
Mediapart appartient désormais à une structure à but non lucratif, et son capital est « statutairement sanctuarisé, ni cessible ni achetable » (voir le schéma ci-contre). S’inspirant du modèle du trust garantissant l’indépendance du quotidien britannique The Guardian, cette « invention capitalistique » est sans précédent en France, où de nombreux journaux sont la propriété d’industriels et de milliardaires (2). Lorsque la Spim a racheté les 100 % du capital de Mediapart il y a près de six mois, l’entreprise éditrice était alors valorisée 16,3 millions d’euros. « Nous avons choisi collectivement entre cofondateurs l’an dernier d’accorder à la nouvelle société [la Spim, ndlr], proportion-nellement à notre apport initial (3), un crédit vendeur de 2,9 millions d’euros qui nous sera remboursé progres-sivement jusqu’en 2026 », explique Marie-Hélène Smiejan-Wanneroy, cofondatrice de Mediapart et présidente de l’ADS, à Edition Multimédi@. De son côté, Ecofinance (Jean-Louis Bouchard) a fait don du montant de ses actions, soit 1 million d’euros. Tandis que Doxa (Thierry Wilhelm) a décidé de ne pas toucher tout de suite le prix de ses actions en accordant à la Spim – à l’instar des quatre cofondateurs – un « crédit vendeur » de 2,5 millions d’euros. Pour le reste, la Spim a contracté un emprunt bancaire comme l’avait détaillé Edwy Plenel sur son blog le 15 octobre dernier : « Outre 4,4 millions de réserves, le rachat de l’ensemble des actionnaires de Mediapart(ses cofondateurs, sa société des amis, sa société des salariés, les sociétés Doxa et Ecofinance) est financé par un emprunt de 5,5 millions d’euros auprès du Crédit coopératif, sur 8,5 ans à un taux de 1,18 % ». Tout rembourser d’ici six à sept ans – à la banque coopérative de la BPCE et aux bénéficiaires des crédits vendeur – est, selon la direction de Mediapart, dans les capacités financières de la Spim au regard de ses résultats annuels qui ne cessent de battre des records.
Sur les douze ans de son existence, cela fait neuf ans que Mediapart génère un résultat net positif (sauf en 2014) et que son résultat opérationnel (4) est dans le vert sans discontinuer sur la même période (y compris pour 2014 cette fois). « Ces résultats permettent à Mediapart de poursuivre ses investissements en développements éditoriaux, techniques et commerciaux », se félicite la direction. Mediapart emploie 94 personnes à fin 2019, dont 48 journalistes. Marie-Hélène Smiejan-Wanneroy nous indique que les quatre cofondateurs resteront salariés de Mediapart « le temps nécessaire à la transmission à l’équipe » et selon la décision de chacun. « Mais il n’est pas prévu de départ immédiat », assure-t-elle. En mars 2017, Edwy Plenel avait indiqué son souhait de se retirer avant ses 70 ans (5) qu’il atteindra en août 2022. @

Charles de Laubier