Pendant que l’Allemagne perquisitionne chez Eyeo/Adblock Plus, la France prépare label et charte

Alors que le CESP (1) et l’ACPM (2) se voient confier – par le SRI (3) et l’Udecam (4) – la rédaction d’un « référentiel » pour un label « Digital Ad Trust », les professionnels de la pub online s’inquiètent du succès des ad-blockers.
Pendant qu’Axel Springer ferraille en justice contre Eyeo/Adblock Plus.

Le 26 janvier dernier, les locaux de la société allemande Eyeo, éditrice du célèbre logiciel anti-pub Adblock Plus,
ont été perquisitionnés ainsi que trois domiciles de ses dirigeants. La police et le ministère public allemand de la Justice ont cherché des preuves pour manquement au droit d’auteur et au droit de la concurrence au détriment des professionnels de la publicité en ligne et des éditeurs de presse. L’information a été révélée le lendemain par le site online Heise (5).

Les « listes blanches » en cause
Le géant européen des médias Axel Springer est le seul groupe de presse à avoir intenté une action judiciaire contre la société Eyeo – cofondée par son président Tim Schumacher (photo), son directeur général Till Faida et son développeur Wladimir Palant – dont il estime le modèle économique « illégal ». En 2015, l’éditeur berlinois des quotidiens Bild et Die Welt, propriétaire de SeLoger.com et d’Aufeminin.com en France, avait fait appel et obtenu en 2015 un référé à l’encontre de cette société accusée de tous les maux. Et ce, après avoir essuyé un échec en première instance à Cologne où Eyeo avait remporté une victoire judiciaire qui faisait suite à plusieurs autres obtenues face à des plaintes de chaînes de télévision allemandes (ProSiebenSat.1 Media et RTL Group). « L’offre croissante d’ad-blockers met en danger les sources de revenus provenant du marché publicitaire pour l’ensemble des éditeurs de médias en ligne», ne cesse de protester Axel Springer. Adblock Plus est installé sur plus de 100 millions de terminaux dans le monde, essentiellement en Europe et son éditeur Eyeo a constitué avec des annonceurs une « liste blanche » qui sélectionne les publicités en ligne jugées les moins intrusives selon ses propres critères. Les internautes peuvent ainsi bloquer celles qui ne sont pas des « Acceptable Ads », ou bien au contraire désactiver cette option pour n’en bloquer aucune. Cela revient à « whitelister » les éditeurs qui accepteraient de payer une taxe pour passer entre les mailles du filet Adblock Plus.
Ce droit de passage soulève des questions sur l’éthique de la société Eyeo.
Les ad-blockers constituent plus que jamais la bête noire des éditeurs de contenus et de services en ligne, qui s’inquiètent du manque à gagner grandissant et s’estiment menacés jusqu’au cœur de leur modèle économique déjà fragile. En France, où les pertes des éditeurs sont allées jusqu’à 25 % de leur chiffre d’affaires, le Geste (6) a renoncé à aller en justice. Certains de ses membres poursuivent la campagne anti-blocking initiée il y a un an, en attendant l’analyse technique d’un logiciel de ad-recovery de la startup Uponit. En Allemagne, Axel Springer est décidé à remporter non seulement une victoire mais aussi la guerre devant la cour de cassation contre Eyoe qu’il accuse d’être hors-la-loi et d’être directement responsable – via notamment Adblockplus.org – des listes « Adblock Plus » disponibles en open source telles que Easylist et Liste FR. L’Interactive Advertising Bureau (IAB), organisation professionnelle de la pub online, tente d’éteindre l’incendie qui menace tout l’écosystème des médias sur Internet et sur les mobiles, en mobilisant les différents acteur autour de « bonnes pratiques vertueuses » avec l’élaboration au niveau international d’une « charte de bonnes pratiques ». Il est également prévu un « contrat de navigation » (ou « contrat
de lecture ») qui préconise : limitation des formats publicitaires sur une page, mise en place de capping sur toutes les campagnes et sur les formats considérées comme
« impactants » ou « surgissants ».
Sans attendre, les publicitaires du online sont censés suivre les recommandations édictées par l’IAB aux Etats-Unis. En France, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) – l’ex-BVP (7) – est supposée contrôler qu’elles soient effectivement appliquées. En avril 2016, l’ARPP a lancé un « Observatoire des pratiques publicitaires digitales », dont l’état des lieux devrait être présenté d’ici fin février. « Les conclusions viendront nourrir le plan d’action de l’ARPP pour (…) ne pas attiser la publiphobie. D’ores et déjà, nous proposons (…) d’aider les acteurs des nouvelles techniques publicitaires à mieux maîtriser les risques de non-conformité aux règles déontolo-
giques », explique François d’Aubert (8), président de l’ARPP depuis 2011 (réélu
pour quatre ans en novembre 2015).

Ad-blockers : + 20 % en France
La branche française de l’IAB, dont le directeur délégué est Stéphane Hauser (ex-Libération), prépare pour l’automne un troisième baromètre de son étude sur les ad-blocks et les Français. Le deuxième, réalisé par Ipsos et publié en novembre dernier, a montré que le taux d’adoption des adblocks sur le marché français avait augmenté de 20 % depuis le début de l’année, passant de 30 % à 36 %. Il y a péril en la demeure. @

Charles de Laubier