L’algorithme de l’e-Démocratie

En ce jour d’élection, je suis appelé, comme plus de 400 millions d’électeurs, à voter pour nos représentants à l’Assemblée européenne et à élire un président désigné pour la première fois au suffrage universel. Une grande première et sans doute un sursaut vital pour une Europe perçue comme moribonde, qui joue son va-tout après une longue période de doute et de désamour. La campagne est placée sous le signe de la technologie car les débats entre les candidats ont été diffusés pour la première fois simultanément dans tous les Etats membres en utilisant les dernières avancées de la traduction temps réel. Les débatteurs, comme les journalistes, pouvaient parler dans
leurs langues maternelles et être enfin compris par des citoyens qui découvraient pour la première fois des femmes et des hommes en mesure de présenter leurs propositions en détail, loin des petites phrases et des caricatures. Nous expérimentons également le vote électronique à grande échelle, même si beaucoup d’entre nous restent très méfiants à ce sujet. Les nouveaux dispositifs sont censés nous rassurer grâce à un arsenal de mesures visant à garantir la transparence et la sécurité du processus électoral tout au long de la chaîne : des comités indépendants de surveillance multi-partis, auditant et validant les machines à voter et les logiciels utilisés, aux systèmes de sécurité de pointe préservant l’intégrité du dispositif des intrusions et des manipulations extérieures.

« Pour une meilleure information, des débats
plus ouverts et une plus grande interaction
entre gouvernants et gouvernés. »

Les réticences remontent aux premiers âges du vote électronique. Cela fait pourtant plus de 50 ans que l’utilisation de machines à voter pour les scrutins politiques est légale en France pour les communes de plus de 3.500 habitants. Et cela fait plus de 20 ans que le vote électronique est possible en utilisant des machines à voter dans les bureaux de vote ou via Internet pour certaines élections. Quelques pays ont très tôt généralisé les systèmes de votes électroniques pour toutes les élections, comme le Venezuela qui l’adopta dès 2004 pour en faire un argument de « transparence électorale » (sic) d’un système pourtant contrôlé de bout en bout par l’Etat.
En France, le nombre de communes utilisatrices est ainsi resté longtemps très limité, voire en diminution, passant de 83 en 2007 à moins de 70 en 2013. Cependant, malgré
les critiques et les suspicions pour les élections européennes de mai 2014, c’est 1,1 million d’électeurs qui ont pu recourir à des machines à voter. Mais les nombreux incidents et recours ont longtemps entaché ces élections automatisées. Si le vote numérique des assemblées d’élus s’est imposé depuis fort longtemps en France, le vote public a longtemps été accusé d’un manque de fiabilité. Un rapport sénatorial a ainsi pointé en avril 2014 les faiblesses des dispositifs existants : il était très simple d’introduire dans la machine un logiciel espion qui s’autodétruit dès le scrutin clos après avoir altéré le résultat du vote ! Et il est vrai, qu’en tant qu’électeur, nous n’étions pas pressés de sauter le pas, attachés que nous étions aux fiévreuses soirées électorales passées à dépouiller, tous ensemble, les bulletins porteurs de l’expression de la volonté populaire.
Mais nos démocraties étaient bien embarquées dans le train de la révolution numérique, avec la perspective, une fois les dangers maîtrisés, de revivifier la participation des citoyens en utilisant la puissance du réseau – plus que jamais « social » – pour une meilleure information, des débats plus ouverts et une plus grande interaction entre gouvernants et les gouvernés. De nouvelles plates-formes publiques, associant open data, forums interactifs géolocalisés et consultations citoyennes régulières, organisent les échanges jusqu’à être désormais intégrées au processus législatif par un dialogue avec le Parlement et l’envoi de propositions d’amendements. C’est la naissance d’une démocratie participative, longtemps annoncée mais enfin à portée de main avec l’espoir de combler les lacunes de nos démocraties représentatives. Quand Montesquieu opposait, dans « De l’esprit des lois », le suffrage par le sort (de la nature de la démocratie) au suffrage par le choix (celle de l’aristocratie), nous expérimentons chaque jour un peu plus le suffrage par l’algorithme et le Big Data : de la nature de la démocratie participative ! @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Smart Toys
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 »
(http://lc.cx/b2025).