Accord de libre-échange : l’Europe et les Etats-Unis pourraient faire « diversité culturelle » commune

Les négociations pour un accord de libre-échange transatlantique démarreront
« avant les vacances d’été ». L’audiovisuel et la culture, s’affranchissant des frontières via Internet, pourraient en faire partie, malgré l’hostilité des tenants
de l’« exception culturelle », notamment en France.

Economie numérique aidant, les Etats-Unis veulent inclure l’audiovisuel et les industries culturelles dans le prochain accord commercial bilatéral avec l’Union européenne. Mais certains pays des vingt-sept, France en tête, ne veulent pas que les secteurs qui relèvent pour eux de l’« exception culturelle » – à savoir l’audiovisuel et la culture (cinéma, télévision, musique ou encore édition compris) – en fassent partie.

Quid des quotas et des subventions ?
C’est un sujet hautement sensible, surtout en France près de vingt ans après que les accords du GATS (1) – entrés en vigueur le 1er janvier 1995 – aient exclu l’audiovisuel
du libre-échange sur le commerce et les services. Le futur accord « US-UE » pourrait, selon certains, remettre en cause cet acquis préservé par la convention de l’Unesco (2) de 2005, sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, signée depuis par 125 pays – pas les Etats-Unis. Mais le commissaire européen en charge du Commerce, Karel De Gucht, a tenté de rassurer : « L’accord entre les Etats-Unis et l’Europe ne changera pas de force les pratiques courantes entre les Etats membres [de l’Union], lesquels continueront de pouvoir soutenir leurs industries culturelles et le secteur audiovisuel en particulier, à travers notamment les quotas de diffusion ou les subventions tels que prévus dans les directives européennes actuelles ». Il est ainsi intervenu le 12 mars, jour où la Commission européenne a approuvé le projet de mandat pour qu’il puisse négocier avec les Etats- Unis. Le Conseil européen, auquel va être transmis ce projet de mandat accompagné d’un projet de directives de négociation, doit encore donner son feu vert. La France a encore quelques semaines pour convaincre d’autres pays européens – dont l’Allemagne – d’exclure l’audiovisuel de ces prochaines négociations. Le 15 mars, François Hollande a déclaré : « Je veux que ces domaines [normes sanitaires et services audiovisuels] soient exclus du champ de la négociation ».
Mais Barack Obama, président des Etats-Unis, et José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, tiennent à ce partenariat transatlantique « sans entraves » (3) qui pourrait ensuite « contribuer à l’élaboration de règles mondiales pouvant renforcer le système commercial multilatéral ». Et ils le veulent « dans les plus brefs délais » pour gagner rapidement 0,4 % (pour les Etats-Unis) et 0,5 % (pour l’Europe) de hausse du PIB.
Cela suppose d’ouvrir aussi leurs marchés à de « nouveaux secteurs », et pourquoi pas l’audiovisuel et les industries culturelles, dont le cinéma (4), de plus en plus transfrontaliers. En outre, des discussions « US-UE » engagées dès 2005 sur les droits de propriété intellectuelle (5) vont s’intensifier : il s’agit notamment d’« aider l’industrie
dans la légitimation de l’accès d’importants fournisseurs de services Internet au contenu protégé par le droit d’auteur » (6).
Mais, devant cette abolition des frontières culturelles entre le Vieux continent et le Nouveau monde, ses opposants veulent convaincre la commissaire européenne, Androulla Vassiliou, en charge de la Culture, d’exclure expressément l’audiovisuel de la négociation. Les Coalitions européennes pour la diversité culturelle (CEDC) – groupement informel créé en 2005 – craignent, quant à elles, que cette libéralisation ne « rend[e] caduques les politiques mises en place en faveur de la diversité culturelle, notamment
les mesures de quotas et de soutien financier ». Parmi elles, la Coalition française pour
la diversité culturelle – créée en 1997 sous le nom d’association ADRIC (7) et présidée par la SACD (8) – craint que, face à la puissante industrie audiovisuelle américaine,
« l’exception culturelle [ne soit] réduite à peau de chagrin ». Le 18 février dernier, elle affirmait que « les Etats- Unis souhaitent rattacher une partie des services audiovisuels au secteur des nouvelles technologies pour mieux exclure l’application des règles de la diversité culturelle et militent, en effet, pour un détachement de la vidéo à la demande [VOD], TV de rattrapage, etc… du secteur audiovisuel classique ». Ainsi, selon la Coalition française, « par le jeu subtil des définitions, les ‘’nouveaux services audiovisuels’’ pourraient ainsi être libéralisés ».

Internet perçu comme Cheval de Troie
Quant à l’exception culturelle, « elle n’aurait plus vocation qu’à s’appliquer à la distribution des œuvres via les médias traditionnels, mais ne vaudrait plus pour la diffusion des œuvres par Internet, qui représentera à l’avenir l’essentiel de ces services ».
Et d’ajouter : « Cette démarche de libéralisation reviendrait également à rendre difficile toute modernisation du financement de la création en protégeant les acteurs importants
de l’Internet américains (Apple, Facebook, Amazon, Google, etc…) d’une ‘’exception culturelle 2.0’’ ». @

Charles de Laubier