L’année 2013 s’annonce à risque pour Jean-René Fourtou, président de Vivendi

J-107 avant l’assemblée générale de Vivendi qui se tiendra le 30 avril prochain. Jean-René Fourtou va jouer son va-tout en prenant le risque démanteler le groupe de médias et de télécoms pour le recentrer sur les contenus. Ce qui déclenchera une restructuration du secteur des télécoms en France.

JRFQuinze ans après avoir adopté le nom de Vivendi, le groupe issu de la Compagnie Générale des Eaux s’apprête à changer radicalement de stratégie sous la houlette de son président du conseil de surveillance Jean- René Fourtou (notre photo). Ce polytechnicien, qui aura 74 ans à la fin du printemps prochain, semble vouloir reproduire avec Vivendi ce qu’il a réussi à faire avec Rhône Poulenc. Il y a quinze ans, il filialisait l’activité chimie sous le nom de Rhodia et fusionnait Rhône Poulenc avec Hoechst pour donner naissance au géant des laboratoires pharmaceutiques, Aventis, racheté par la suite par Sanofi.
Mais après avoir séparé la chimie (confrontée alors à la crise du textile) et la pharmacie est-ce un gage de réussite en voulant aujourd’hui céder les télécoms (confrontées à la crise des réseaux) pour miser sur les médias ? Il ne reste plus à Jean-René Fourtou qu’une centaine de jours de réflexion, avant l’AG du 30 avril où il devra mettre cartes sur table, pour arrêter sa nouvelle stratégie et en mesurer les conséquences pour son groupe coté et l’ensemble du marché français des télécoms. Près d’un an après le lancement de cette réflexion stratégique et plus de six mois après l’éviction de Jean-Bernard Lévy, alors président du directoire de Vivendi (lequel était opposé à la scission ou au démantèlement du groupe), Jean-René Fourtou n’a toujours pas présenté son nouveau plan stratégique.
Il faudra attendre cette AG pour enfin voir se dessiner le vrai visage du futur Vivendi.

Télécoms en France : restructuration en vue
« Faut-il vendre des activités ou séparer le groupe en deux, voire trois ? Cette question n’est pas taboue », avait écrit le président du conseil de surveillance dans une lettre aux actionnaires datée du 27 mars 2012, quelques jours avant l’AG de l’an dernier. L’idée de scission – réseaux d’un côté (SFR fixe et mobile, Maroc Télécom, GVT) et contenus de l’autre (Canal+, Universal Music, Activision Blizzard) – a été abandonnée (1) au profit de la vente des filiales télécoms (2). En France, si ce n’est pas avec Free ou Bouygues Telecom, SFR pourrait fusionner avec Numericable si l’Autorité de la concurrence le permet (au risque de renforcer un marché déjà oligopolistique). A moins que Vodafone ne s’empare de SFR, dont il fut longtemps co-actionnaire (3)… Alors que Vivendi entre le 21 janvier dans la quiet period précédant la publication de ses résultats annuels prévue le 26 février, ce silence va accroître l’impatience, le doute et l’inquiétude des actionnaires, des investisseurs et des quelque 58.000 salariés de la multinationale – dont les 16.000 des filiales françaises.

La Bourse comme unique boussole
Les syndicats, eux, craignent que la suppression d’emplois chez SFR (près d’un millier de départs) ne préfigure sur l’ensemble de Vivendi une année sociale 2013 mouvementées. Quant aux agences de notation, elles s’interrogent sur la perspective financière du groupe : Standard & Poor’s a placé sous perspective négative la note BBB. « La révision de la stratégie de Vivendi peut affaiblir [le groupe] à l’avenir, en particulier parce qu’il pourrait réduire sa diversification », a-t-elle prévenu fin octobre. Moody’s et Fitch ont également mis sous surveillance le groupe, dont la dette dépasse les 14 milliards d’euros. De plus, la possible dépréciation de SFR – valorisé au mieux 20 milliards d’euros, au pire 10 milliards – pourrait peser sur les comptes de Vivendi. Mais en ce début d’année 2013 et moins de trois ans avant la fin de son mandat qu’il s’est dit prêt à écourter, Jean- René Fourtou va devoir passer aux actes. Donnant pour l’instant l’impression d’avoir la Bourse comme unique boussole (4),
ce capitaine d’industrie tarde à donner le cap. En fait, l’abandon des activités réseaux de Vivendi au profit des médias et des contenus a été décidé l’été dernier. La conséquence immédiate fut le départ pour « divergence stratégique » de Jean-Bernard Lévy, de formation X-Télécom. Frank Esser a-t-il, lui, senti le vent tourner pour démissionner fin mars 2012 de son poste de PDG de SFR, la filiale télécoms de Vivendi qu’il dirigeait depuis dix ans ? Lui faire porter le chapeau des 200.000 abonnés perdus
« faute d’avoir anticipé » le lancement de Free Mobile il y a un an était-il un prétexte ?
Quoi qu’il en soit, c’est une petite phrase glissée en fin d’un bref communiqué daté du 21 septembre qui esquisse la nouvelle stratégie : « Vivendi renforce ainsi sa position dans les contenus de manière significative » (5). Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre : exit les télécoms… Cette propension à s’afficher plus dans les « contenus » que dans les « tuyaux » est aussi apparue discrètement dans les « A propos de Vivendi » qui terminent tous les communiqués : dès 2011, on passe de « groupe français leader mondial de la communication » à « Vivendi est au cœur des univers des contenus, des plates-formes et des réseaux interactifs ». Les réseaux ne sont alors plus en odeur de sainteté au sein du groupe… Au-delà de l’échec dans la recherche de synergies entre réseaux et contenus, sur fond de convergence numérique (6), Vivendi s’est retrouvé avec des actifs télécoms soumis à la pression de l’Etat et de l’Arcep (fiscalité, obligations d’investir dans le très haut débit, régulation pro-concurrentielle, financement de la création, …). C’est du moins ce qu’affirment ses dirigeants pour justifier leur désamour avec les les télécoms, lesquelles, en réalité, n’assurent plus une rente suffisante. La concurrence fait le bonheur des uns (les consommateurs) mais le malheur des autres (les actionnaires)… C’est donc le cours de Bourse de Vivendi qui préoccupe au plus haut point Jean-René Fourtou : l’action – tirée vers le bas depuis la crise financière de 2008 – a perdu plus de 44 % de sa valeur en 5 ans, malgré un rebond de plus de 15 % depuis six mois, à moins de 17 euros (7), soit au même niveau que le cours hérité il y a dix ans de l’ère Jean-Marie Messier ! « C’est la décote de holding, la différence entre la valeur de Vivendi et la somme de celle de ses activités, qui paraît excessive », déplore la présidence du groupe.
Mais les paroles sibyllines ne font pas une stratégie. La distillation de quelques propos dans la presse tente de rassurer. Ainsi Jean-François Dubos, président du directoire jusqu’au 30 avril, a voulu clarifier : « Notre première certitude, c’est que nous avons
tous les atouts pour nous affirmer comme un leader européen, voire mondial, dans les contenus et les médias. (…) L’avenir de Vivendi est dans les contenus et leur distribu-
tion », a déclaré mi-décembre ce dernier (8). Le conseil de surveillance, qui compte
13 membres après avoir accueilli mi-décembre Vincent Bolloré (devenu premier actionnaire de Vivendi avec 5 % du capital (9)) et Pascal Cagni (ancien dirigeant européen d’Apple), s’est mis en ordre de bataille dans les contenus face à Google, Apple, Facebook ou encore Amazon. Afin de permettre la cooptation du premier, Jean-Yves Charlier, le « Monsieur télécoms » du conseil de surveillance et alors président de son comité stratégique, a dû démissionner.

Meheut dirigera-t-il le nouveau Vivendi ?
Le recentrage « médias » du groupe est déjà en marche. Certes, Jean-Yves Charlier est devenu en octobre DG des activités télécoms. Mais c’est à Bertrand Meheut, président du groupe Canal+, que le conseil de surveillance a confié dans le même temps « une mission de réflexion pour le développement des médias et des contenus ». Et il est probable que Bertrand Meheut soit nommé au printemps prochain président du directoire de Vivendi. Pour succéder à Jean-René Fourtou dans les trois ans ? @

Charles de Laubier