Docteur Live contre Mister Replay

En cette fin d’après-midi de juillet, tout le monde marque le pas pour regarder sur un écran l’alunissage d’une capsule spatiale et de son équipage. Un événement interplanétaire qui se déroule en direct, en full HD et en 3D. La Lune comme si on y était ! On est bien loin de cette retransmission qui nous ont émus en ce 21 juillet 1969, et qui, sur fond d’images tremblantes en noir et blanc, marqua pour toujours notre imaginaire. Un demi-siècle plus tard, l’homme est de retour sur la Lune, propulsé par une fusée chinoise, et servie par une superproduction digne d’Hollywood ! Le direct n’est donc pas mort, pas plus qu’il n’a déserté complètement les écrans de télévision. Mais la part réservée au live, dominante aux origines de la télévision, s’est peu à peu repliée jusqu’à ne concerner, par ordre d’importance, que les sports les plus populaires, les informations, quelques talk-shows
et, parfois, certaines représentations culturelles, comme des concerts, du théâtre ou
de l’opéra. Priorité était donnée durant ces dernières décennies aux programmes clés
en mains et aux émissions post-produites, télé réalité comprise (même si ce nom est trompeur). Cette part congrue a encore été réduite par les facilités offertes par le replay qui permet aux téléspectateurs et/ou internautes de s’affranchir de la dictature du direct. Ce fut bien sûr la chance de certaines émissions que de pouvoir être vues en différé sur le bon vieux poste de télé, mais aussi et surtout sur tous les écrans de toutes tailles. Une occasion, aussi, de se constituer un nouveau vivier de spectateurs et de prolonger la vie des programmes au-delà de la première retransmission.

« C’est Twitter TV qui a obtenu l’exclusivité
de la retransmission mondiale – en direct –
du retour de l’homme sur la Lune ! »

Pendant que le direct désertait la télé, de nouveaux médias l’accueillaient pour doper leur audience ou simplement offrir un nouveau service. A l’heure de la convergence permise par Internet et accélérée par la démocratisation des techniques de captage, d’encodage
et de diffusion, la radio propose en direct ses émissions phares et la presse organise des débats audiovisuels, lorsqu’elle ne suit pas ses correspondants et ses grands reporters en direct sur leurs terrains d’investigation. Quant aux salles de cinéma, elles mettent leurs grands écrans et leurs technologies numériques de pointe aux services de live de plus en plus varié pour un public de plus en plus large. Le Web, enfin, a permis à des acteurs modestes ou renommés, de proposer en direct de véritables grilles de programmes. Le live est donc loin d’être mort ! La salle Pleyel, la Citée de la musique et bien d’autres lieux culturels proposent ainsi sur leurs sites web la retransmission en direct de prestigieux concerts. Certaines ligues sportives telles que la NBA (NBA.tv) aux Etats-Unis et d’autres dans le monde – comme la LFP (LFP.tv) en France ! – proposent leurs propres services de streaming vidéo en live par abonnement accessible sur ordinateur, tablette et smartphone. L’intégralité des matchs de la saison de la première ligue indienne de cricket, l’IPL, est diffusée en live et en accès gratuit sur YouTube depuis dix ans déjà. Les opérateurs télécoms aussi s’y sont mis très tôt, comme SFR qui, dès 2012, proposait des concerts en direct à ses abonnées sur son site dédié SFR Live Concerts. Le Collège de France et presque toutes les universités « médiatisent » eux aussi les cours en direct de leurs professeurs, au bénéfice d’étudiants désormais admis dans des amphis virtuels. Sans oublier les géants du Net, comme YouTube Live, qui offrent des directs très variés : journaux d’actualités, événements sportifs, concerts, théâtres, télé-réalité, défilés de mode, opéras, tournois de jeux vidéo, …
C’est aussi la raison pour laquelle de grandes chaînes généralistes ont réinvesti massivement dans le direct. Une question de survie. Leur futur se trouve dans le téléviseur considéré par le public, aujourd’hui comme hier, comme le premier (grand) écran du foyer. Il y a urgence pour elles, car c’est Twitter TV qui a obtenu l’exclusivité
de la retransmission mondiale du retour de l’homme sur la Lune ! @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : L’e-learning
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut publie chaque année son
rapport sur l’avenir de la télévision et de la vidéo :
« NextGen TV 2020 », par Gilles Fontaine.