Le rapport « TV Connectée » de 2011 sera-t-il suivi d’une réforme du PAF en 2012 ?

Publié le 5 décembre, le rapport de la mission sur la télévision connectée (1) appelle
de ses voeux une réaction rapide des pouvoirs publics afin de préparer au mieux
la France aux conséquences de la révolution audiovisuelle annoncée.
La télécommande est dans les mains du gouvernement…

Par Rémy Fekete (photo), avocat associé, Gide Loyrette Nouel.

A l’horizon 2015, 100 % des foyers français seront équipés de téléviseurs connectés (2) permettant potentiellement de surfer, via le petit écran, sur l’ensemble du réseau Internet. Ce que le ministre de la Culture et de la Communication a annoncé comme un « tsunami » (3) promet de modifier nos habitudes de consommation. L’arrivée dans la chaîne des contenus des nouveaux acteurs – que sont les fournisseurs d’accès Internet (FAI), les agrégateurs de contenus et les fabricants de téléviseurs – devrait de plus engendrer des bouleversements profonds dans l’économie de l’audiovisuel.

Repenser l’arsenal juridique
Cette révolution induite par le progrès technologique inquiète les acteurs traditionnels du secteur audiovisuel à plus d’un titre et invite à repenser en profondeur l’arsenal juridique qui régit l’économie des contenus. Le rapport de la mission sur la télévision connectée propose en 13 points des axes de réforme pour tenter de résoudre l’équation suivante : comment adapter le marché français à l’ère de la télévision connectée, sauvegarder la compétitivité économique des différents acteurs de la filière et conserver un système viable de soutien à la création, le tout sans perdre de vue la protection du public et du consommateur ?

• Refonte de la régulation. Le PAF (4) a déjà connu de substantielles évolutions :
le passage de la télévision noir et blanc à la couleur, la lente émergence de chaînes thématiques câblées, rapidement démultipliées par l’offre satellitaire moins régulée, …
Ces étapes demeuraient propres au secteur de l’audiovisuel. Les offres triple et quadruple play ont lié plus étroitement les offres télécoms, Internet et audiovisuelles, mais ce lien demeurait pour l’essentiel un « bundle », une offre de distribution groupée de services
qui demeuraient chacun l’objet d’une régulation sectorielle. Certes, plus récemment, les smartphones et les tablettes ont popularisé la consommation de contenus vidéo en ligne. Mais la télévision connectée représente à cet égard un bouleversement d’une autre
nature : cette fois-ci la fusion de l’offre audiovisuelle et de l’offre en ligne est réelle, matérialisée par l’utilisation du même équipement et d’un mode de consommation identique. Le « téléspectateur » surfe sur Internet en utilisant sa télécommande ; l’internaute regarde la télévision d’un clic.
A la fusion des modes de consommation va répondre une nouvelle étape dans la convergence des acteurs. Celle-ci, initiée il y a plus de dix ans (fusion Vivendi- Seagram), se poursuit par touches (« Orange + »), tout en montrant les difficultés liées à des métiers qui demeurent très distincts (contenant/contenu). Les Google, Apple ou Netflix développent leurs offres audiovisuelles ; l’arrivée des opérateurs mondiaux sur le marché français du contenu audiovisuel lève à nouveau le spectre du bouleversement audiovisuel et de la fin de la sacro sainte exception culturelle française. En particulier, les diffuseurs de services audiovisuels soumis à licence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)
et à une réglementation contraignante – en particulier en matière fiscale et parafiscale – s’inquiètent de la concurrence déloyale que pourraient exercer de nouveaux entrants non soumis aux contraintes de la réglementation nationale. C’est aussi la filière de la création audiovisuelle et cinématographique française, largement financée par les diffuseurs, qui pourrait s’en trouver affectée.
Sans remettre en cause les principes de la loi du 30 Septembre 1986 relative à la liberté de communication, la mission « TV connectée » propose donc d’alléger drastiquement certaines obligations qui lui paraissent désormais dénuées de légitimité.

Obligations obsolètes à supprimer
La mission suggère par exemple d’alléger les règles sur la programmation des œuvres cinématographiques et audiovisuelles à la télévision (5), en supprimant : les interdictions certains soirs de la semaine, les quotas d’œuvres cinématographiques, et même les quotas d’œuvres européennes et d’expression originale française, ces règles n’ayant selon les auteurs « plus de justification dans un univers où le téléspectateur peut choisir
le programme qu’il souhaite regarder parmi une palette de services qui inclut des services de médias audiovisuels délinéarisés » (6). Le rapport appelle aussi à homogénéiser les règles concernant les messages publicitaires pour l’ensemble des écrans (7). Enfin, à défaut d’apporter des réponses luimême, le rapport invite le CSA à mener une mission d’analyse et de recommandations sur le thème de la protection des publics et des consommateurs.

Chevauchement CSA-Arcep : fusion ?
Le chevauchement probable entre les compétences du CSA et celles de l’Arcep est à nouveau abordé, le sujet de la télévision connectée offrant une nouvelle opportunité aux tenants de la fusion de ces deux autorités de faire valoir leurs arguments. A tout le moins, le rapport recommande une rapide clarification des compétences de chacune des autorités en matière de télévision connectée, le nombre de différends à traiter pouvant s’avérer croissant. Les rapporteurs ne semblent pas oser trancher une question aussi politiquement sensible et se limitent à rappeler deux options : soit confier à l’Arcep l’ensemble des compétences de régulation de l’économie des réseaux en ligne, soit maintenir l’autorité de ces deux entités, en les fusionnant purement et simplement, ou
en délimitant plus clairement leurs domaines de compétences.

• Compétivité. Plusieurs propositions visent à permettre aux entreprises françaises d’avoir la taille et les ressources nécessaires pour renforcer leur compétitivité face à la concurrence d’acteurs internationaux sur un marché désormais plus ouvert. La mission suggère de rapprocher les règles anti-concentration applicables à l’audiovisuel de celles en vigueur dans la presse, en donnant davantage d’importance aux parts d’audience et
de marché réalisées sur les différents supports de diffusion, qu’au nombre de chaînes contrôlées sur le réseau hertzien comme c’est le cas actuellement.
Le rapport envisage également des voies permettant de développer des offres légales plus attractives pour contrer l’impact des offres illégales et des offres légales
« déterritorialisées » qui font concurrence aux fournisseurs de contenus français.
Il propose d’adapter la chronologie des médias aux usages internationaux en raccourcissant le délai de la fenêtre de vidéo à la demande (VOD) par abonnement (elle est actuellement de 36 mois, alors qu’elle n’est que de 4 mois pour la VOD à l’acte).
Et en contrepartie des obligations de coproduction auxquelles les chaînes établies en France sont soumises,
il est préconisé que le diffuseur diffuseur se voit accorder l’ensemble des droits sur les contenus qu’il co-produit, notamment les droits de VOD.

• Interopérabilité. Les fournisseurs locaux de contenus sont tentés de s’allier à des fabricants de téléviseurs en passant des accords d’exclusivité (8). Ceux-ci risquent à terme, si les normes adoptées ne sont pas compatibles entre elles, de créer un marché éclaté dans lequel le consommateur n’aura pas accès à une offre suffisamment riche.
La logique de l’exclusivité peut en outre conduire à une dangereuse remise en question
de la neutralité du Net (9). Le rapport met donc en garde contre ces risques et propose
de travailler à une normalisation, visant à l’interopérabilité des équipements, basée sur
des standards ouverts.

• Soutien à la création. La France se distingue par son système de soutien à la création, qui soumet notamment les éditeurs et diffuseurs de services audiovisuels à des obligations de financement de la production et de diffusion des contenus. Par ailleurs,
« la télévision connectée est une bombe à fragmentation de l’audience » (10), laquelle, selon les rapporteurs, entraînera inéluctablement une baisse des revenus publicitaires des chaînes qui actuellement alimentent le système de soutien à la création. Ce dernier risque donc à terme d’être sous-alimenté si ses règles ne sont pas repensées. Le rapport préconise le maintien du Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels (Cosip), mais propose – pour sécuriser les ressources de ce dernier – d’impliquer les acteurs d’Internet. Il est notamment proposé que les FAI collectent pour le Cosip une contribution perçue sur les échanges générés par les services en ligne, ce qui permettrait d’assujettir indirectement l’ensemble des acteurs de la télévision connectée – y compris ceux qui ont déterritorialisé leurs activités et leurs revenus. Enfin, le rapport préconise
une TVA réduite sur les œuvres numériques pour rétablir l’équité concurrentielle avec
les opérateurs extra-territoriaux. Actuellement, la TVA appliquée aux transactions électroniques (par exemple à la VOD) est de 19,6 % en France, alors que certains de nos voisins européens (notamment l’Irlande) parviennent (grâce à un mode de calcul affiné de la TVA) à proposer des taux inférieurs (11).

Un rapport pertinent, et après ?
Au total, ce nouveau rapport d’analyse pertinent et précis revisite, à l’occasion du développement de la télévision connectée, des problématiques connues de longue date
et présente des solutions déjà envisagées. Il ne reste qu’à espérer qu’il sera cette fois-ci suivi d’effet. @