Manuel Alduy, directeur du cinéma de Canal+ : « La catch up TV revalorise les films »

Alors que Canal+ annonce le lancement en novembre sur SFR de son offre de VOD par abonnement, CanalPlay Infinity, le directeur du cinéma de la chaîne cryptée répond aux questions de EM@ : préfinancement, TV de rattrapage, Orange Cinéma Séries, SVOD, chronologie des médias, ou encore concurrence venant du Web.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le groupe Canal+ est historiquement le premier pourvoyeur de fonds du cinéma français avec environ 200 millions d’euros investis par an dans le pré-achat de films : quel est montant exact à ce jour et comment a-t-il évolué ?
Manuel Alduy :
Conformément à ses accords avec le cinéma français, Canal+ préachète pour environ 200 millions d’euros par an de films français et européens. Ces acquisitions de droits incluent les droits de télévision de rattrapage, qui n’est qu’une nouvelle forme de la multidiffusion déjà pratiquée depuis vingt-sept ans par Canal+. Concernant l’évolution de nos investissements, nous devrions acquérir environ 115 films d’expression originale française cette année, soit un volume inférieur à l’an passé qui était exceptionnelle (130), mais supérieur à la moyenne des 6 dernières années (112), parmi les 500 projets qui nous ont été présentés.

EM@ : Concernant la catch up TV, l’accord signé pour trois ans par Canal+ avec le cinéma français en juillet 2008 avait été abrogé par l’accord global sur cinq ans du 18 décembre 2009. Cependant, l’accord catch up TV avec Ciné+, CinéCinéma et Star arrive à échéance en décembre 2011 : la TV de rattrapage est en hausse, les droits doivent-ils l’être aussi ?
M. A. :
La question ne se pose pas tout à fait en ces termes : si la consommation des films en télévision de rattrapage a bel et bien progressé, l’audience globale des films auprès de nos abonnés est plus stable. Pour une chaîne payante, la TV de rattrapage permet d’enrayer la baisse d’audience linéaire. Un film génère moins d’urgence télévisuelle à être vu quand il est programmé que d’autres programmes de télévision. Depuis son lancement, Canal+ à la demande a permis de réduire nos désabonnements. Ce qui est très bénéfique pour le cinéma français. Concernant Canal+, les droits de TV rattrapage sont inclus dans nos obligations de production. Ils représentent contractuellement 1,33 % des droits linéaires. Pour Ciné+, l’accord avait été conclu pour palier l’absence totale de régulation en la matière. Cette lacune a été réparée par le décret sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd), en vigueur depuis janvier dernier. L’intérêt d’un éventuel nouvel accord serait d’inclure la TV de rattrapage dans nos obligations comme nous l’avons fait pour Canal+.

EM@ : Orange Cinéma Séries sera détenue à 66,66 % par Orange et à 33,33 % par Canal+ : cela va-t-il changer la donne en termes d’engagements d’OCS en pré-achats (7,22 millions d’euros pour 13 films, dont 6,49 millions dans 12 films français) ? OCS (455.000 abonnés) va s’ouvrir à d’autres FAI : faut-il renégocier avec le cinéma ?
M. A. :
L’accord avec Orange prévoit une prise de participation minoritaire de Canal+ sans aucun rôle dans le management de ces chaînes. L’extension de la distribution des chaînes OCS sur CanalSat et ailleurs permettra d’augmenter leur diffusion, ce qui devrait être mécaniquement profitable au cinéma français. Il n’y aucune raison valable de modifier les obligations existantes d’OCS en l’état mais c’est à la direction de ces chaînes qu’il faut poser la question.

EM@ : Canal+ va lancer le 8 novembre et en avantpremière sur SFR son service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) baptisé CanalPlay Infinity. Pour 9,99 euros par mois, à combien de films et séries les clients de la Neufbox auront-ils accès à partir de leur téléviseur, smartphone ou tablettes ? On parle de 2.000 films et 700 séries…
M. A. :
Le groupe lancera une offre de SVOD baptisée CanalPlay Infinity en novembre prochain sur SFR [puis sur Free et Bouygues Telecom, Orange étant en cours de négociation, tandis qu’un accord sur la TV connectée a été conclu avec Samsung, ndlr]. CanalPlay Infinity s’adresse à des non-abonnés aux offres existantes de Canal+, plutôt jeunes et « digital-natives ». Ce service de vidéo à la demande par abonnement sera tarifé à 9,99 euros par mois, sans engagement, pour une consommation illimitée de milliers de films et séries régulièrement renouvelés, et un moteur de recommandation original. Nous avons vocation à travailler avec tous les ayant droits, majors américaines comme distributeurs français.

EM@ : Avec CanalPlay Infinity, vous faudra-t-il renégocier avec les producteurs de cinéma ?
M. A. :
L’accord avec le cinéma français concerne Canal+, pas nos autres chaînes et services.

EM@ : La SVOD a une fenêtre de diffusion des nouveautés à 36 mois : êtes-vous favorable à 22 mois, voire à 10 mois pour la SVOD ? CanalPlay (VOD) est à 4 mois (depuis l’accord du 6 juillet 2009) : faut-il encore raccourcir pour booster la VOD ? Canal+ (Pay TV) va de 10 à 12 mois : Canal+ souhaite-t-il passer à 9 mois pour sa chaîne à péage comme il en était question en 2004 ? M. A. :
La VOD peut démarrer son exploitation 4 mois après la sortie en salles. Raccourcir ce délai empièterait sur l’exploitation en salles, au détriment des films dits « de bouche-à-oreille ». Canal+ ne souhaite absolument pas s’avancer à 9 mois après la sortie en salles. Enfin, la place de la fenêtre de SVOD dans la chronologie d’exploitation du cinéma doit dépendre de son niveau d’obligation de financement du cinéma national. Or, actuellement, seules les chaînes payantes comme Canal+, OCS ou Ciné+ sont soumises à des obligations de préachat, des clauses de diversité, et une contribution garantie par abonné et par mois.

EM@ : Face à l’arrivée prochaine de Netflix, Hulu, Google/YouTube, Apple TV ou Yahoo TV, voire des fabricants de téléviseurs connectés, pensez-vous que les chaînes françaises sont suffisamment armées – avec les films comme produit d’appel – pour résister à la future délinéarisation qui va s’accélérer ?
M. A. :
Les offres fortes en image et en qualité, généralistes et locales en contenus, sont mieux armées pour « résister » aux opérateurs que vous évoquez. Il faut également rester lucide sur la réalité des différents marchés. Aux Etats-Unis, comme dans d’autres pays, le cinéma trouve dans la SVOD le débouché qu’il ne trouve plus dans les fenêtres traditionnelles. En France, plus de 6.000 films sont déjà annuellement diffusés auprès des 26 millions de foyers équipés de téléviseurs, qu’il s’agisse via la télévision payante (pour l’essentiel Canal+ et Ciné+), gratuite ou câblée.

EM@: Faut-il que Canal+, TF1, M6 et FTV se regroupent en catch up TV comme il en fut question en 2009 ?
M. A. :
Je ne le pense pas à ce stade. @