Le technophile milliardaire Serge Dassault a financé la numérisation et la diversification du groupe Figaro

Que serait devenu le groupe Figaro si Serge Dassault n’avait pas consacré depuis près de 15 ans une (petite) partie de sa fortune aux développements numériques et à la diversification de ce fleuron libéral de la presse française ? L’héritier milliardaire a misé sur la technologie, la politique et les médias.

« Soucieux de donner un espace aux idées libérales,
il soutint avec ardeur le développement du Figaro, emmenant le groupe vers la diffusion numérique et une diversification réussie, dans le respect du pluralisme ». Cet hommage appuyé à Serge Dassault (photo) – décédé le 28 mai 2018 à 93 ans – n’est autre que celui du président de la République. Comme Emmanuel Macron, ils sont nombreux à souligner les investissements numériques qu’aura permis l’industriel de l’aéronautique et homme politique en tant que
« président du groupe Figaro », en l’occurrence PDG de Dassault Médias, devenu Groupe Figaro. Y sont également administrateurs, entre autres : Nicole Dassault (son épouse), Olivier Dassault et Thierry Dassault (deux
de ses fils), comme le montre encore le début de « l’ours » du quotidien
Le Figaro. Dépendant de la holding familiale Groupe Industriel Marcel Dassault (GIMD), que présidait Serge Dassault, cette entité Dassault Médias inconnue du grand public – dont l’héritier de l’industriel Marcel Dassault était président du conseil d’administration – avait remplacé il y a sept ans
« la Socpresse ». Ce groupe avait été vendu en 2004 (70 titres (1), dont Le Figaro) par les héritiers de Robert Hersant – l’ancien « papivore » de la presse française – à Serge Dassault. C’est à partir de ce passage de flambeau que ce dernier – milliardaire qui aime sans compter (cinquième fortune
de France) – entamera – via Société du Figaro SAS qu’il présidait là aussi –
la modernisation du Figaro, sa numérisation et sa diversification.

« Passionné de technologie » tourné vers le digital
« Internet, le mobile, le premium, Figaro Live, les nouvelles formes de publicité : le passionné de technologie comprenait d’instinct les enjeux du futur. Il avait fait aussi le constat que, dans le monde si bouleversé des médias, Le Figaro devait s’appuyer sur une diversification forte, un portefeuille d’activités digitales en croissance. Avec l’acquisition de CCM Benchmark et de ses sites Internet [Journal du Net, L’Internaute, Copains d’avant, Comment ça marche, ndlr] qu’il avait personnellement souhaitée, le groupe Figaro est ainsi devenu en 2016 le premier groupe média digital français par son audience », ont écrit Marc Feuillée et Alexis Brézet, respectivement directeur général et directeur des rédactions du Figaro, dans leur édito de l’édition du 29 mai dernier – dont la Une fut parée de noir. Ce mardi matin-là, Serge Dassault leur avait donné rendez-vous – comme chaque semaine, « un rite » – pour évoquer avec eux l’actualité mais aussi parler « des affaires du journal : les ventes, la publicité, les développements futurs, les investissements… ».

Un groupe multimédia diversifié
Le père Marcel avait rêvé d’influence politico-médiatique avec Jour de France dans les années 1950 ; le fils Serge le fera avec Le Figaro après avoir tenté de le faire avec Valeurs Actuelles de 1998 à 2007 (2), quitte à user de pressions sur la rédaction sur fond de censures et de conflits d’intérêts au regard de ses multiples activités industrielles (ventes de Rafale, de Mirage
et de Falcone compris). En tant qu’ingénieur « qu’il n’a jamais cessé d’être » (diplômé de Supaero) et héritier des fleurons technologiques français que sont Dassault Aviation et Dassault Systèmes (fondés par son père respectivement en 1929 et 1981), le feu homme de presse a su accompagner financièrement la mutation de son groupe de médias vers Internet.
« Qu’il s’agisse de l’aéronautique, de la haute technologie numérique, de la communication, notre passion reste intacte. (…) Le groupe Dassault détient aujourd’hui le groupe Figaro, numéro 1 de son secteur en France, présent dans la presse quotidienne et les magazines, mais aussi sur Internet », écrit d’ailleurs le PDG défunt dans son éditorial encore en ligne sur le site web institutionnel (3). Par ailleurs, l’industriel décrit ainsi sa filiale média : « Le groupe Figaro est un éditeur multimédia, dont la production s’étend de la presse écrite aux contenus et supports numériques. (…) Le Figaro.fr est le premier site d’actualité en France, avec près de 7 millions de visiteurs uniques chaque mois. Il est également le premier groupe de presse sur les mobiles, avec notamment les applications chainemeteo.com et figaro.fr ». Celui qui fut directeur de la rédaction du Figaro de 2004 à 2007 témoigne de l’intérêt de Serge Dassault pour la chose numérique : « Serge Dassault ayant une formation d’ingénieur, il était attentif à toutes ces évolutions technologiques. Ayant des réflexes d’industriel, il a permis au groupe Figaro d’investir et de faire l’acquisition de sites web, pendant que j’étais là et ensuite – que ce soit dans l’info elle-même ou dans la transformation digitale de tout le métier des petites annonces, un des piliers du groupe », confie Nicolas Beytout (4) à Edition Multimédi@. Serge Dassault avait fait siennes les communications électroniques, en envoyant régulièrement e-mails et SMS à partir de son smartphone et de sa tablette. Ce polytechnicien à la fibre high-tech veillait autant au contenu libéral de droite de son quotidien Le Figaro, dans lequel l’ancien sénateur LR et ancien maire de Corbeil-Essonnes (5) se fendait d’un édito très politisé pour ses vœux de nouvel an (6), qu’aux développements numériques de son journal.
A force de diversification, le quotidien Le Figaro ne pèse plus que 20 %
des 550 millions d’euros du chiffre d’affaires du groupe en 2017, depuis la finalisation fin 2015 de l’acquisition de CCM Benchmark (7) – soit près de dix ans après avoir revendu le groupe L’Express au belge Roularta (lequel
le cèdera par la suite à Patrick Drahi).
En 2018, d’après les indications données mi-février par Marc Feuillée, directeur général du groupe Le Figaro, le chiffre d’affaires du groupe devrait atteindre 620 millions d’euros (en hausse de 13 % par rapport à
l’an dernier) et le résultat net (non dévoilé par le groupe) « devrait rester positif ». Le vaisseau amiral Le Figaro, qui vise 100.000 abonnés numériques payant (« premium ») d’ici l’an prochain, contre plus de 80.000 aujourd’hui, lancera au second semestre un nouveau site web Lefigaro.fr plus adapté à la mobilité. Selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM, ex-OJD), Lefigaro.fr arrive en deuxième position (derrière Orange.fr) des audiences de sites web d’actualité en France (versions fixe et mobile) avec 96,7 millions de visites sur le seul mois d’avril. Mais l’application mobile, elle, n’est qu’en sixième place avec 24,5 millions de visites (smartphones et tablettes). Son empire aéronautique avec Dassault Aviation s’étend, lui, jusqu’à la conception assistée par ordinateur : Dassault Systèmes est numéro un français des éditeurs de logiciels et numéro deux européen (3,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017 et 31,7 milliards d’euros de valorisation boursière au 04-06-18)).

Charles Edelstenne à la tête du Figaro
Maintenant que Serge Dassault est mort, la succession prévue depuis 2014 prévoit que ce soit Charles Edelstenne (80 ans) – depuis 2000 président de Dassault Aviation – qui prenne automatiquement la présidence de GIMD dont il était jusqu’alors directeur général. C’est lui qui est désormais président de Groupe Figaro (ex- Dassault Médias).
Quant à Olivier Dassault (61 ans), un des huit administrateurs du groupe média et par ailleurs aussi politicien (député LR) prendra-t-il à l’avenir le relais médiatique de son père ? @

                                                                                                      Charles de Laubier