Le direct live des réseaux sociaux pourrait faire de l’ombre aux chaînes de télévision

Avec une audience déjà grignotée par la VOD et la TV sur Internet, les chaînes
de télévision voient un nouveau front s’ouvrir : celui du direct et de la retransmission d’événements en temps réel. Car les réseaux sociaux se
mettent au live, avec des outils tels que Periscope, Meerkat, Live Video, …

Diffuser des vidéos en direct sur Facebook. C’est possible depuis que le numéro un des réseaux sociaux a lancé fin janvier la fonction « Live Video », laquelle permet – dans un premier temps aux Etats-Unis et à partir d’un iPhone – de diffuser en temps réel une séquence vidéo ou un événement filmé. Le reste du monde et Android seront concernés « dans les semaines à venir ». Une fois que la retransmission en direct
est terminée, l’internaute peut soit la garder sur le réseau social, soit l’enlever.

Twitter, Facebook, YouTube, …
Quelques jours avant le lancement de Live Video, le réseau social de Mark Zuckerberg lançait un nouveau service baptisé « Facebook Sports Stadium » pour suivre en temps réel des matches (de football d’abord, puis à l’avenir le basket-ball et d’autres sports). S’il n’est pas encore question de vidéos, ce service sportif propose lors des événements des scores en direct, des commentaires d’experts, des échanges avec
ses « amis » à travers le monde, mais aussi des liens pour pouvoir regarder les événements sportifs en live si possible.
Facebook entend ainsi concurrencer des applications de live sur Internet telles que Periscope de Twitter ou Meerkat développée par Ben Rubin qui l’a lancée il y a un an (voir encadré page suivante), ainsi que les directs en streaming vidéo sur YouTube ou Dailymotion. Ces annonces successives du réseau social aux plus de 1 milliard d’utilisateurs actifs quotidiens sont intervenues après que Twitter a intégré dans le fil d’actualité – la timeline de ses twittos – l’application de diffusion de vidéos en direct Periscope. Issu de l’acquisition de la start-up Bounty Labs en mars 2015 par Twitter, Periscope avait été lancé l’an dernier et totalisait – avant d’être intégré au site de microblogging – 100 millions de vidéos diffusées en live, le plus souvent à partir de smartphones. Twitter a aussi intégré Periscope sur son autre application vidéo, Vine, acquise en 2012 et permettant de diffuser de courtes vidéos de 6 secondes et de les partager.
Avec cette montée en charge du direct sur les réseaux sociaux et de partage vidéo, les chaînes de télévision perdent leur atout maître qu’était leur avantage à être les seules
à pouvoir faire de la rediffusion live d’événements d’actualité ou de divertissement – parfois en mondovision. Fort du (très) haut débit généralisé, de la puissance de l’encodage numérique et de l’engouement pour le streaming, Internet est en passe de détrôner la TV sur ce terrain. Si les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont d’abord été suivis en partie en direct sur CNN et sur les chaînes du monde entier, ceux des 7 janvier et 13 novembre 2015 à Paris l’ont été avant tout sur les réseaux sociaux, avec en plus la capture de l’instant par les Parisiens et les autres témoins retransmis instantanément sur Periscope ou Vine.
YouTube pratique depuis longtemps la retransmission en direct d’événements, de concerts ou de festivals. Ce fut par exemple le cas en 2012 lorsque près de 8 millions de personnes sur YouTube ont regardé en direct le saut spectaculaire en parachute à 39.000 mètres d’altitude du parachutiste autrichien Felix Baumgartner, lequel a franchi pour la première fois le mur du son en chute libre ! Le lancement aux Etats-Unis en octobre dernier de YouTube Red, la version payante sans publicités de la plateforme
de partage vidéo, est aussi la porte ouverte à des retransmission live d’événements premium. Son arrivée en Europe prévue cette année pourrait bousculer les bouquets TV payants Canal+ ou Sky. Rappelons en outre que, depuis fin 2013, YouTube permet à chacun de diffuser en direct (live stream) sans plus avoir besoin d’avoir au moins 100 abonnés à sa chaîne (comme c’était exigé auparavant). A condition cependant que le
« youtuber » respecte les droits d’auteur. YouTube s’est en outre lancé l’été dernier dans la retransmission en direct de parties de jeux vidéo ou de compétitions ludosportives (e-sports), avec YouTube Gaming, sur le modèle de Twitch, filiale d’Amazon.

Amazon lorgne les droits du football
Amazon, justement, compte bien être présent dans la retransmission d’événements sportifs tels que les matches de football, quitte à acheter des droits pour son service
en ligne par abonnement Prime. Mais son PDG, Jeff Bezos, qui ne l’a pas exclu le 26 décembre dernier dans un entretien accordé à Die Welt, la joue modeste : « Il est possible que ce domaine [du sport en direct, ndlr] se trouve pendant un certain temps encore entre de meilleures mains, chez les chaînes de télévision », a-t-il dit au quotidien allemand. Aux Etats-Unis, la NFL (National Football League) courtise les acteurs du Net (Amazon, YouTube, Yahoo, Facebook, …) pour atteindre les cord-cutters (les désabonnés de la TV par câble) en live-streamed. De son côté, Microsoft verrait bien la retransmission du Super Bowl américain prolongée en réalité holographique (1). Le petit écran n’a plus le monopole du direct de « contenus premium », tandis que l’année 2015 a confirmé que les Français, toujours plus équipés d’écrans que sont les téléviseurs, les ordinateurs, les tablettes et les smartphones (6,4 en moyenne par foyer, selon Médiamétrie), ne se contentent plus de regarder la télévision uniquement « à l’antenne » (live ou pas) mais aussi de plus en plus « à la carte » et/ou « en direct »
(en enregistrant leurs programmes ou en utilisant les services de replay).

Les chaînes se rebiffent
Ce phénomène du direct sur Internet donne des sueurs froides aux chaînes de télévision détentrices des droits de retransmission d’événement sportifs ou de diffusion de série. D’autant que certaines d’entre elles paient très cher – plusieurs centaines de millions d’euros – les retransmissions en live sur leur antenne, notamment de football. C’est le cas aussi pour la diffusion de séries qui se retrouvent « capturées », telles que la dernière saison de « Game of Thrones » qui s’est retrouvée sur Periscope au grand dam de la chaîne payante HBO qui a porté plainte au printemps 2015 contre Periscope. Son créateur, le fondateur de Bounty Labs, Kayvon Beykpour, avait alors assuré qu’il retirerait rapidement les contenus litigieux. Les conflits entre les ayants droits et les acteurs du Net ne datent pas d’hier : le groupe américain de télévision et de studio de cinéma Viacom (Paramount, MTV, Nickelodeon, …), dirigé par le Français Philippe Dauman (2), s’est distingué dès 2007 en réclamant 1 milliard de dollars à YouTube pour piratage : Google s’en est finalement sorti indemne en 2013, après avoir proposé un système de reconnaissance automatique des œuvres appelé Content ID (lire p.3).

En France, en attendant que Periscope ne prenne de l’ampleur, TF1, France Télévisions, Canal+ et M6 – via l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) – se sont plaints en mai 2015 auprès de Twitter et de Facebook (3) de la diffusion de vidéo pirates de leurs programmes sur les deux réseaux sociaux. Les chaînes de télévision françaises leur demandent d’adopter « une véritable politique
de sanctions » et « des technologies de filtrage automatique par reconnaissance d’empreintes numériques préalablement déposées par les détenteurs de droits, permettant de bloquer la mise en ligne de vidéos contrefaisantes ». La Ligue française de football (LFP) a aussi sévi auprès de Twitter France contre le piratage de ses matches (4).

Mais c’est aux Etats-Unis que la capture des matches en direct à partir de smartphones fait des émules sur Perisope ou Meerkat. La loi américaine « Digital Millennium Copyright Act », adoptée en 1998 sur la protection de la propriété intellectuelle à l’ère numérique, n’avait pas prévu ce phénomène de retransmission en direct sur les réseaux sociaux qui n’existaient pas encore (Facebook est créé en 2004, YouTube en 2005, Twitter en 2006, Periscope et Meerkat en 2015). En mai dernier, une polémique a commencé à partir du « combat de boxe du siècle » (5) qui s’est déroulé un samedi soir à Las Vegas : plusieurs smartphones avaient alors rediffusé en live sur Periscope et Meerkat l’événement – « en toute illégalité », selon les organisateurs qui avaient monnayé au prix fort les droits de diffusion auprès de chaînes payantes. @

Charles de Laubier

ZOOM

Meerkat fête ses un an à l’ombre de Periscope
Editée par la start-up californienne Life On Air, l’application Meerkat – qui permet gratuitement de diffuser en direct des vidéos en streaming (meerkatapp. co) – a été lancée en février 2015. Son créateur, Ben Rubin (photo), cofondateur et actuel directeur général, a été formé à Technion, institut de technologie en Israël. Pour lancer Meerkat (du nom du suricate qui est un petit carnivore d’Afrique), il a levé il y a un an 12 millions d’euros auprès du fonds de capital investissement Greylock Partners et plusieurs investisseurs – dont Comcast Venture, Universal Music, le cofondateur de YouTube Chad Hurley ou encore l’acteur et musicien Jared Leto. Meerkat, disponible sur iOS et Android, a rencontré un énorme engouement et un succès médiatique à son lancement, mais a dû ensuite affronter la concurrence de Periscope racheté par Twitter. @