Unified States of Communication

Ce n’est pas la peine d’entretenir un suspens inutile. Nous sommes en 2020, mais nos moyens de communication n’ont pas encore franchi une nouvelle barrière technologique majeure. Si la visiophonie commence à être disponible en 3D et dispose des dernières avancées de la réalité augmentée, rien de nouveau du côté de la communication holographique chère à Star Wars ou de la télépathie pourtant si commune durant l’âge d’or des romans de science-fiction. Pas de révolution donc, mais une poursuite des tendances à l’oeuvre depuis des années déjà, qui bouleversent en profondeur les usages, les outils
et l’économie des acteurs en présence. Nous avons pris l’habitude de représenter cette tendance de fond par l’image d’un iceberg. La partie émergée, la plus petite donc, ce sont les services de communication – voix, SMS et MMS – délivrés depuis toujours contre paiement par les opérateurs télécoms. La partie immergée, elle, correspond à ces outils de plus en plus nombreux – email, messagerie instantanée, voix sur IP – qui sont en augmentation constante, mais généralement gratuits. A titre d’exemple, il y a aujourd’hui plus d’un milliard d’utilisateurs de services de VoIP accessibles sur Internet, dits OTT (Over-The-Top), pour l’ensemble des Etats-Unis et de l’Europe des cinq plus grands marchés (UE5), alors qu’ils n’étaient que 374 millions en 2012. Paradoxe : on a jamais autant communiqué qu’aujourd’hui, alors que le revenu des services de communication baisse constamment, année après année.

« OTT et Tecos rivalisent en proposant
une expérience unique aux utilisateurs,
via des services de communication unifiés. »

Les revenus de la voix, fixe et surtout mobile, se taille encore dans l’EU5 la part du lion avec un chiffre d’affaires actuel de près de 90 milliards d’euros, mais contre 100 milliards encore en 2012. Même si peu à peu les services de communication OTT représentent
un chiffre d’affaires en hausse, ce n’est que pour un montant très modeste de moins de
7 milliards d’euros aujourd’hui, contre près de 3 milliards en 2012.
Au total, le marché des communications est soumis à une très forte pression. Certains parlent, comme pour d’autres secteurs concurrencés par l’Internet, de destruction de valeur. Cette évolution tient bien sûr à la part des services gratuits offerts par les acteurs OTT, mais pas seulement. En réalité, la baisse des revenus est également le fait des opérateurs télécoms eux-mêmes qui proposent leurs minutes de communication voix et les messages à des tarifs encore et toujours en baisse constante. Cette tendance qu’ont les opérateurs à détruire eux-mêmes la valeur de leur propre marché hyper concurrentiel, accélère encore cette évolution.
Dans cette véritable bataille, les acteurs des deux bords espèrent prendre l’avantage
en proposant une expérience unique aux utilisateurs, via des services de communication unifiés. Les OTT agrègent ainsi voix, messagerie, partage de fichiers, communication vidéo, en s’appuyant sur des réseaux Wifi, comme alternative aux réseaux des
« Telcos ». Une offensive qui s’est intensifiée dès 2013 par les premières applications
du WebRTC (Web Real-Time Communications), standard initié par Google permettant d’effectuer des conversations audio et vidéo en temps réel directement au travers du navigateur. Mozilla présentait son prototype dès 2012, tandis que Microsoft proposait
son propre standard pour se démarquer et mieux intégrer Skype à Internet Explorer.
Au même moment, Facebook testait au Canada la possibilité de téléphoner à un autre utilisateur de Facebook Messenger. Les opérateurs télécoms ont également saisi leur chance : dès 2012, Telefonica faisait l’acquisition de TokBox, start-up californienne fournissant une API (Application Programming Interface) gratuite de discussions vidéo
de groupe en ligne. Plus largement, Deutsche Telekom, France Télécom, Telecom Italia, Telefonica et Vodafone lancèrent le standard RCSe (Rich Communication Suite-enhanced) comme une réponse anti-OTT. Orange dévoilait ainsi fin 2012, Joyn, véritable service de communications unifiées.
Aujourd’hui que mon smartphone « couteau suisse » dispose enfin de services de communication universels intégrant tous les outils connus (voix, chat, vidéo, partage
de documents, …), je rêve parfois d’entrer en résistance, comme un Roland Moreno qui écrivait dans sa Théorie du Bordel Ambiant en 1990, que « tant qu’on n’aurait pas inventé la télépathie il faudrait renoncer à communiquer. » @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : L’avenir de l’audio
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut a publié son rapport
« Future of Communication 2020:Telco & OTT
communication-Market forecasts » par Soichi Nakajima.

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