Comment l’Europe veut encourager l’investissement dans le (très) haut débit

Il n’est pas inutile de rappeler l’objectif « ambitieux » que la Commission européenne a fixé en vue de raccorder à « plus de 100 Mbits/s » la moitié des Européens d’ici à 2020, alors qu’en France le rapport Maurey – remis le 26 octobre – préconise différentes taxes pour financer le très haut débit.

Par Christophe Clarenc (photo) et Renaud Christol, avocats, cabinet Latham & Watkins

Mettre le haut débit de base (ADSL) à la disposition de tous les Européens d’ici à 2013, et faire en sorte que, d’ici à 2020, tous les consommateurs européens puissent avoir accès à des vitesses de connexion d’au moins 30 Mbits/s et qu’au moins la moitié d’entre eux puissent disposer de connexions Internet de plus de 100 Mbits/s : tel est l’objectif fixé par la Commission européenne dans la stratégie numérique qu’elle a dévoilée le 19 mai 2010 (1). Pour atteindre cet objectif, qu’elle qualifie elle-même d’ambitieux (2),
la Commission européenne a considéré qu’il était « nécessaire d’élaborer une politique globale, reposant sur une combinaison de technologies et poursuivant deux buts : d’abord, garantir une couverture universelle en haut débit (combinant réseaux fixe et sans fil) avec des vitesses de connexion portées progressivement jusqu’à 30 Mbit/s et au-delà ; et, à terme, promouvoir le déploiement et l’adoption de réseaux d’accès de nouvelle génération (NGA) sur une grande partie du territoire de l’Union, qui permettent des connexions internet de plus de 100Mbit/s ».

Trois types de mesures
La Commission a annoncé qu’elle adopterait rapidement, à cet effet, trois types
de mesures. Tout d’abord, un programme sur la « politique européenne du spectre radioélectrique » devant être « coordonnée et stratégique, de manière à accroître l’efficacité de la gestion du spectre et à porter à un maximum les avantages pour les consommateurs et les entreprises ».
Ensuite, une communication sur le (très) haut débit destinée à établir un cadre commun dans lequel s’inscriraient les actions entreprises au niveau de l’Union européenne et des États membres, devant notamment comprendre des mesures de nature à :
« renforcer et rationaliser le financement du très haut débit par des instruments de l’UE […] d’ici à 2014 et examiner les possibilités d’attirer des capitaux pour les investissements dans le haut débit grâce au rehaussement du crédit (avec le soutien de la BEI (3) et de fonds de l’UE ». Enfin, une recommandation « visant à encourager les investissements dans les réseaux d’accès de nouvelle génération (NGA) compétitifs par l’adoption de mesures réglementaires claires et efficaces ». Les mesures ont été publiées le 20 septembre 2010.

• Proposition de décision pour le spectre radioélectrique
La Commission européenne propose au Parlement européen et au Conseil d’adopter une décision visant à établir un plan quinquennal destiné à encourager une gestion efficace du spectre radioélectrique (4). Elle se fixe comme « priorité absolue » (5) la réservation d’une plage suffisante du spectre pour les services sans fil, en particulier à haut débit. A cet effet, elle propose que les États membres aient achevé, d’ici à 2012, l’octroi de licences à des opérateurs pour les bandes de fréquence de 900/1800 MHz, de 2,5 à 2,69 GHz et de 3,4 à 3,8 GHz. Elle invite également les États membres à ouvrir la bande de 800 MHz au haut débit sans fil au plus tard le 1er janvier 2013. En France, l’Arcep a publié le 27 juillet 2010 une consultation publique sur les modalités d’attribution des bandes de fréquence 800 MHz et 2,6 GHz pour le déploiement des réseaux mobiles à très haut débit (4G).
Le lancement des procédures est prévu d’ici à fin 2010 et l’attribution effective des fréquences se déroulera entre le printemps et le début de l’été 2011 (6).
La proposition de décision prévoit également de soumettre la gestion du spectre aux principes d’efficacité de l’utilisation, de flexibilité dans l’octroi des autorisations, de neutralité en matière de technologie et de service et de préservation et de promotion
d’une concurrence effective. A cet égard, elle contient des dispositions visant à
assurer qu’« aucune accumulation, cession ou modification de droits d’utilisation de radiofréquence n’entraîne de distorsion de concurrence » (7). En outre, elle encourage l’utilisation collective du spectre, le négoce de fréquences et la convergence des procédures et conditions d’autorisation applicables aux bandes pour lesquelles les
droits seraient négociables en Europe.

• Communication sur le (très) haut débit
Les mesures envisagées (8) sont de deux ordres. En premier lieu, la Commission européenne demande aux États membres d’adopter des plans opérationnels en matière de haut et très haut débit et insiste pour que ces plans soient « pleinement opérationnels pour les réseaux ultrarapides, assortis de mesures d’application concrètes pour atteindre leurs objectifs » (9)
A cet égard, elle considère que les coûts de génie civil, qui représentent environ 80 %
des coûts de déploiement des nouvelles infrastructures, pourraient être « largement réduits par des mesures d’aménagement urbain et de coordination et par l’instauration
du cadre réglementaire approprié ». Elle estime également que les coûts d’implantation des infrastructures sans fil pourraient être réduits par des mesures appropriées. Elle établit à cet effet une liste (hétérogène) des mesures qui pourraient figurer dans les plans opérationnels des États membres, afin de promouvoir l’investissement privé et la réduction des coûts, dont : l’attribution des permis de construire pourrait être soumise
à une condition d’installation d’infrastructures passives et de câblage de l’édifice,
la communication des conditions d’accès aux infrastructures locales pourrait être obligatoire, les réseaux fermés utilisés pour relier des entités publiques (écoles, libraires, cliniques) pourraient être ouverts afin de desservir les zones géographiques avoisinantes (10), les travaux tels que le creusement du domaine public et la construction des conduits pourraient être coordonnés, etc. En second lieu, la Commission européenne préconise expressément l’investissement direct des pouvoirs publics dans la construction des infrastructures, dans le respect toutefois des règles en matière d’aides d’État. La communication annonce également – d’ici au printemps 2011 – de nouvelles mesures financières de la part de la Commission européenne et de la Banque européenne d’investissement visant à faciliter le financement du déploiement du très haut débit par effet déclencheur sur « d’autres banques qui apporteront des fonds plus importants pour le haut débit ».

• Recommandation sur l’accès aux « NGA »
Enfin, la Commission européenne publie la recommandation (11) sur l’accès réglementé aux réseaux d’accès de nouvelle génération (NGA), qui avait fait l’objet de deux consultations publiques en 2008 et en 2009. L’objectif est d’indiquer aux autorités réglementaires nationales (l’Arcep en France) « la manière de procéder pour réglementer l’accès concurrentiel des tiers » aux NGA, dans le cadre des procédures d’analyse de marchés. Selon la Commission européenne, cette recommandation « ne se limite pas à étendre aux nouveaux réseaux en fibre les règles élaborées pour les réseaux en cuivre » (12) – même si le terme de « boucle optique » est employé – mais comprend également « de nombreuses dispositions innovantes permettant d’adapter les règles existantes au nouveau contexte de la fibre ». Au rang de ces dispositions figure notamment l’obligation d’accès au génie civil existant ou réalisé par l’opérateur détenant une puissance significative sur le marché à des tarifs orientés vers les coûts. Dans le cadre d’un déploiement FTTH (fibre jusqu’à l’abonné) et selon le cas, l’opérateur puissant aura également l’obligation d’accorder l’accès au segment terminal (ou de déployer des lignes multifibres sur ce segment), à la boucle optique dégroupée (y compris la fibre noire) ou à la fourniture en gros d’accès à haut débit, là encore à des tarifs orientés vers les coûts. L’observateur français aura un certain sentiment de déjà vu tant certaines mesures proposées par la Commission européenne ressemblent aux obligations imposées par l’Arcep à France Télécom dans le cadre de la régulation sectorielle ex-ante.

Co-investissement et concurrence
La recommandation prend également en considération l’hypothèse selon laquelle plusieurs opérateurs investissent dans les réseaux NGA et se montre favorable aux accords de co-investissement en pareille hypothèse. Lors d’une conférence tenue le
29 octobre 2010, le Commissaire européen chargé de la Concurrence, Joaquin Almunia, a toutefois affirmé que de tels accords devaient rester « aussi ouverts que possible » et qu’ils ne devaient en aucun cas être « utilisés pour tenir les concurrents à l’écart ou pour élever des barrières à l’entrée » (13). Ce qui va sans le dire va encore mieux en le disant. @