L’invasion des Serious Games

Cette semaine, mes journées de travail vont être légèrement perturbées par une série de séances de formation consacrées aux nouvelles techniques de négociation commerciale par “téléprésence”. Mon intérêt mesuré pour ce type d’exercice
est cette fois aiguisé par un e-mail que je viens de recevoir sur ma tablette. Il me précise que les sessions se déroulent avec l’aide d’un serious game de nouvelle génération, l’un des ces jeux dits sérieux qui ont littéralement envahi la planète sans que nous n’y prenions vraiment garde. Mais, cette semaine un peu particulière n’est cependant pas exceptionnelle tant les jeux sérieux se sont glissés en douceur dans notre quotidien.
Il s’agit, une fois encore, de l’histoire d’une diffusion ultra-rapide d’une innovation numérique.

« Il n’est plus aujourd’hui un domaine ou une profession qui ne disposent de son propre catalogue de jeux sophistiqués mariant immersion, 3D, jeu en réseau et mobilité, voire même robotique. »

Même si le délicieux oxymore de « jeu sérieux » trouve ses origines au cœur de la Renaissance, à travers le Serio Ludere italien et ses dérivés rabelaisiens, le concept moderne n’est apparu que dans les années 70 : lorsque Clark Abt proposa une première approche organisée du sujet à travers son ouvrage éponyme, en voyant
dans les jeux de société, de rôle ou même de plein air – et bientôt sur ordinateur –
un support permettant d’enrichir les cursus scolaires.Mais c’est à la fin des années 80, avec le triomphe du progiciel et de l’ordinateur personnel et l’apparition des premiers gameplay, que des titres ludo-éducatifs font leur apparition. Nos enfants faisaient alors la connaissance de l’intrépide Carmen Sandiego et de l’étrange Adibou, sympathique personnage extra-terrestre venant leur donner des leçons à domicile. Les choses sont ensuite allées très vite, avec une véritable explosion d’applicatifs dans les domaines très divers de l’enseignement, du marketing, de la santé, de la défense et dans une débauche de néologismes tentant de fixer la taxonomie de cet univers foisonnant : edugames, edumarket games, advergames, cytigames, therapeutic games, military games, exergames, datagames, green games, newsgames, political games…
Un appel à projet national, lancé en 2009 dans le cadre d’un plan de relance gouvernemental, a ensuite attiré l’attention d’un public plus large sur un domaine dès lors identifié comme stratégique pour le futur de nos activités de services et notre compétitivité à venir. L’invasion était en marche, voyez plutôt : les plus jeunes se sont sensibilisés aux enjeux de la famine dans le monde avec le jeu Food Force des Nations-Unies ; les étudiants se sont formés à la gestion personnelle avec PostFinance d’IBM ; de nombreux conscrits virtuels ont participé à la défense des Etats-Unis avec
le jeu à succès America’s Army édité par l’US Army elle-même. Et nous avons été nombreux à suivre le programme d’entraînement cérébral du mystérieux Docteur Kawashima de Nintendo, vendu à l’époque à plus de 17 millions d’exemplaires ! Les maisons de retraite ont résonné de nouveaux cris de joie à l’arrivée inopinée du jeu de remise en forme Wii Fit, tandis que de vastes populations à faible pouvoir d’achat ont eu accès aux serious games de la société indienne ZQM, directement sur leur téléphone mobile,… Une liste qui n’a cessé de s’enrichir au cours de ces dernières années. Mais si les jeux sérieux se sont tout d’abord développés à partir d’une extension du domaine du jeu vidéo, ils ont proliféré ensuite à la faveur de croisements technologiques extrêmement fertiles : il n’est plus aujourd’hui un domaine ou une profession qui ne dispose de son propre catalogue de jeux sophistiqués mariant immersion, 3D, jeu en réseau et mobilité voir même robotique.
La presse ne s’est-elle pas fait l’écho cette semaine de la présence dans une classe
de CP d’un maître-assistant d’un nouveau genre : le robot NAO aide, entre autres, les enfants à réviser de manière ludique leurs leçons de lecture et de calcul ! Je dois mettre un point final à ces lignes car ma première session va bientôt commencer. J’ai hâte
d’aller me mesurer à mes adversaires de pixels et de leur faire mordre la poussière en
les acculant à signer un contrat léonin, dont on parlera encore longtemps dans le cyberespace… ou le contraire… @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : La géolocalisation
Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est directeur marketing et
commercial de l’Idate. Rapport sur le sujet : « Serious Games »
(Innovation Report) par Julien Alvarez et Laurent Michaud