Jean-Pierre Bienaimé : « Nous entrons dans l’univers du streaming audio et vidéo de très haute qualité »

Président de l’UMTS Forum depuis sept ans (1) et détaché de France Télécom-Orange où il a fait toute sa carrière, Jean-Pierre Bienaimé explique à Edition Multimédi@ ce qui attend les industries audiovisuelles et culturelles avec l’arrivée du très haut débit mobile et, ultérieurement, de la 4G.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Pensez-vous que la 3G+ soit suffisante pour la vidéo à la demande, la télévision sur mobile ou encore le streaming de musiques et de radios ?
Jean-Pierre Bienaimé (photo) : La 3G, et plus particulièrement la 3G+ avec la technologie HSPA (High Speed Packet Access)
et son évolution, offre un très bon support aux applications de l’Internet mobile, telles que la télévision sur mobile, le « streaming » audio et vidéo. Orange, par exemple, compte en France plus
de 1 million d’utilisateurs réguliers en TV mobile. A mi-mars, on compte dans le monde environ 215 millions de clients 3G+ bénéficiant du HSPA.
Cette technologie permet d’offrir jusqu’à 14 Mbits/s en réception et 6 Mbits/s en émission. Avant le milieu de l’année prochaine, la moitié des utilisateurs UMTS devraient en bénéficier. Quant aux premiers réseaux HSPA+, ils offrent jusqu’à 28 Mbits/s et, dans les prochaines étapes, ces débits doubleront, voire tripleront. Les constructeurs testent actuellement la nouvelle interface LTE (Long Term Evolution),
qui commencera à être commercialement déployée dans le monde avant la fin de l’année. Tandis que les spécifications de la quatrième génération de mobiles (4G), ou
« LTE-Advanced », seront définies au milieu de l’année prochaine. Les performances décroissent en fonction du nombre d’utilisateurs dans une cellule du réseau, ainsi que de la distance du terminal par rapport à l’émetteur, l’important étant que le débit minimum assuré reste acceptable. Plutôt que débit théorique, les utilisateurs veulent connaître le débit moyen disponible ou minimum permanent.

EM@ : Musiques, films, télévisions, radios, réseaux sociaux, applications, visiophonies, publicités, etc. Les réseaux 3G sont-ils vraiment capables de supporter tous ces flux multimédias sans saturer, voire imploser ?
J-P. B. :
Le trafic de données mobiles croît en effet à grande vitesse et certains opérateurs, comme l’américain AT&T et le britannique O2, ont exprimé leurs préoccupations sur un risque de congestion de leurs réseaux. Le premier a même indiqué que ses 3% d’utilisateurs de smartphones généraient 40 % du trafic de données sur son réseau, avec une croissance de ce trafic de… 5.000 % en trois ans ! Il semble qu’un éventuel phénomène de congestion soit davantage à craindre du côté des réseaux dits de transport et de signalisation, que du côté des réseaux d’accès radio. A ce risque, les opérateurs mobiles peuvent y répondre rapidement par la mise à jour des logiciels qui permettent d’augmenter les débits. Des solutions basées sur de plus petits sites radio
– tels que les « Femtocells » ou les solutions « WiFi indoor » – sont également en train d’être développées. Et l’obtention de spectres supplémentaires pour les réseaux mobiles – dividende numérique ou 800 MHz, 2,3 GHz, 3,4-3,8 GHz, voire 3,4-4,2 GHz… – permettra d’apporter une solution durable au risque d’engorgement des réseaux. Signalons en outre que la réutilisation (refarming) du spectre GSM 900 et 1800 pour l’UMTS, va permettre aux opérateurs mobile d’accroître la capacité de leurs réseaux.

EM@ : Quelles industries des médias, de communication et de contenus audiovisuels voyez-vous le plus profiter de la 4G ? Pourquoi la nouvelle interface LTE est-elle la réponse à la vidéo en temps réel, à la TV mobile broadcast ou encore aux réseaux sociaux de partage vidéo ?
J-P. B. :
Nous allons entrer dans l’univers de la visioconférence et du streaming audio et vidéo de haute qualité, ainsi que dans la navigation sur le Web à haute vitesse, les jeux en ligne interactifs sur réseaux fixes ou mobiles, les services de diffusion audiovisuelle et de télévision à la demande de haute qualité. La nouvelle interface LTE permettra notamment des débits quatre à cinq fois supérieurs à ceux de l’UMTS/HSPA, ainsi qu’un temps de latence réduit. Cela offrira une interactivité accrue au niveau des applications, une flexibilité et une efficacité bien supérieures du spectre. Et ce, pour un coût de réseau à l’unité de trafic bien inférieur… Les abonnés au très haut débit mobile pourront télécharger des fichiers vidéo très volumineux et de musique de très haute qualité, tout en ayant accès à des transactions financières ultra-rapides sur les mobiles et à de la distribution à grande échelle de vidéo-clips ou encore d’informations vidéos sur les mobiles. Notre récent rapport sur l’écosystème du LTE (2) montre que l’on ne s’attend pas à une « killer application », mais décrypte quelques tendances de fond : même si les services d’accès à Internet tels que la messagerie électronique (e-mail),
la navigation sur le Web, la recherche d’informations et les réseaux sociaux restent les plus demandés, les nouveaux services multimédias comme la télévision mobile, la visiophonie et le téléchargement vidéo se révèlent être les plus porteurs de croissance. Les utilisateurs sont réceptifs aux nouvelles idées et technologies, même si leur adoption prend un certain temps. Le dernier salon Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas a montré que la mobilité haut débit allait de plus en plus équiper les terminaux d’électronique grand public. Et nul doute que l’apparition du LTE accélérera cette évolution.

EM@ : Le nombre d’abonnés mobiles dans le monde dépassera cette année les 5 milliards, dont 1 milliard en « haut débit » mobile. Pourquoi la 3G à la norme européenne UMTS est-elle devenue n°1 dans le monde ?
J-P. B. :
La barre des 500 millions de clients UMTS a été franchie fin janvier 2010. Et,
à mi-mars, on compte environ 680 millions de clients 3G dans le monde, dont environ
525 millions à la norme UMTS (3). Il aura fallu un peu plus de huit ans à la norme européano-japonaise UMTS pour atteindre le seuil des 500 millions d’abonnés, alors que le téléphone fixe a mis un siècle, et la norme européenne de seconde génération GSM dix ans. Si l’UMTS s’est imposée dans le monde, c’est parce qu’elle a été conçue en totale compatibilité avec le GSM, lequel a connu le succès planétaire qu’on lui connaît, lui apportant ainsi la masse critique en termes de base installée d’opérateurs et de clients, avec les économies d’échelle associées. Elle a aussi bénéficié d’un puissant engagement de l’écosystème des mobiles (opérateurs, constructeurs, administrations,…), en particulier au niveau européen. L’UMTS Forum et la GSM Association ont apporté une contribution non négligeable à ce succès, en particulier
en obtenant davantage de spectres harmonisés pour les réseaux mobiles et une plus grande interopérabilité, grâce à un jeu de spécifications communes à l’intérieur des standards définis par le 3GPP (4).

EM@ : Le débat sur la Net Neutrality rattrape les réseaux mobiles qui font figurent jusque-là de « wallet garden ». Qu’en pensez-vous ?
J-P. B. :
L’UMTS Forum n’a pas pour l’instant formulé de position sur la Net Neutrality.
Ce sujet doit être découplé de la discussion qui est née aux Etats-Unis. Ceci dit, la plupart des acteurs s’accordent sur la nécessité de transparence. Aujourd’hui, les opérateurs mobiles offrent à leurs clients un large choix de services et d’options liés à l’Internet, et il ne semble pas qu’une nouvelle réglementation soit nécessaire en la matière. Par exemple, la démarche de la Swedish Post & Telecom Agency (PTS) qui propose de contrebalancer neutralité et incitation aux investissements, est beaucoup plus prometteuse et complète que ce qui a été fait outre-Atlantique. @