Chronologie des médias : aller plus loin dans la réforme ?

La chronologie des médias a été réaménagée par l’accord du 6 juillet 2009,
afin notamment de favoriser l’offre légale. Face aux modifications des modes
de consommations des films, la question est de savoir s’il faut poursuivre
– et jusqu’où – sa réforme.

Par Christophe Clarenc (photo) et Renaud Christol, avocats, cabinet Latham & Watkins

L’apparition de la télévision, divertissement concurrent
mais également nouveau vecteur de diffusion du cinéma,
a été perçue comme une ombre sur la prospérité des
salles obscures (1). La menace s’est renforcée avec
le développement des cassettes VHS.
Les pouvoirs publics français et communautaires ont alors décidé d’intervenir en prévoyant des délais obligatoires entre la délivrance du visa d’exploitation d’un film (visa qui permet sa sortie en salle) et sa diffusion en vidéo ou à la télévision. La chronologie des médias était née.

Une réforme nécessaire
Avant les réaménagements engagés en décembre 2005, le dernier état de celle-ci était le suivant :

• Jour J pour la sortie en salles • J + 6 mois pour l’exploitation en vidéo physique •
J + 9 mois pour l’exploitation en paiement à la séance • J + 12 mois pour l’exploitation
en chaînes payantes • J + 24 mois pour l’exploitation en chaîne gratuite coproductrice •
J + 36 mois pour l’exploitation en chaîne gratuite non coproductrice.

En instaurant des fenêtres d’exclusivité pour chaque média, la chronologie garantissait ainsi la rentabilité d’un film à chaque stade de son exploitation. Toutefois, face au développement du numérique et des nouveaux modes de consommation des oeuvres
– tels que la vidéo à la demande (VOD) et la télévision de rattrapage –, mais surtout en raison de l’essor du piratage et donc des pertes de revenus issues de cette pratique,
il est apparu nécessaire de réaménager cette chronologie. Ce réaménagement a été effectué en plusieurs étapes. Une fenêtre d’exploitation spécifique pour la VOD payante
à l’acte fixée à 33 semaines après la sortie des films en salle a été crée le 20 décembre 2005 (2). Puis, dans le cadre de la mission confiée à Denis Olivennes sur la lutte contre
le téléchargement illicite et sur le développement des offres légales d’œuvres musicales, audiovisuelles et cinématographiques, les ayants droit de l’audiovisuel, du cinéma et les chaînes de télévision se sont engagés, le 23 novembre 2007, à aligner l’ouverture de la fenêtre de la VOD payante à l’acte sur celle de la vidéo physique. Le 17 décembre 2007, la directive « Services de médias audiovisuels » (3) (ou directive SMA) a réaffirmé que les délais de diffusion des films devaient être convenus entre
les ayants droit et les fournisseurs de services de médias et a étendu ce principe aux services non linéaires que sont les services de médias audiovisuels à la demande (4). Cette directive a été transposée en droit français par la loi du 5 mars 2009 (5). Enfin,
le 12 juin 2009 (6), le législateur français a mis en place les nouvelles bases juridiques de la chronologie des médias. Comme cela était permis par la directive « SMA », le législateur a fixé le délai d’exploitation en vidéo physique (« vidéogrammes ») à quatre mois à compter de la sortie en salle (7). En ce qui concerne les services de télévision
et des services de médias audiovisuels à la demande, la loi a renvoyé à un accord professionnel (8).
Elle a tout de même fixé un délai d’un mois pour la conclusion d’un tel accord en matière de services de médias audiovisuels à la demande, sous peine de voir appliquer le régime de la vidéo physique aux services de VOD payante à l’acte et qu’un décret fixe les délais pour les autres services de médias audiovisuels à la demande.

L’accord du 6 juillet 2009
La menace du législateur a porté ses fruits : un accord, également relatif aux services de télévision, a été signé le 6 juillet 2009 par les organisations de professionnels du cinéma (exploitants, distributeurs, producteurs), les chaînes de télévision payantes et gratuites (France Télévision, TF1, Arte, Canal+ et M6, l’association des chaînes du câble et du satellite), des éditeurs de vidéo à la demande (Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande, syndicat de l’édition vidéo numérique, Orange et SFR). Les consultations en vue de la conclusion de cet accord avaient été lancées dès le mois d’octobre 2008 par le CNC. Cet accord du 6 juillet 2009 a été conclu pour une durée
de deux ans, tacitement reconductible par périodes d’un an. La grande majorité des dispositions de l’accord a été rendue obligatoire (9) par l’arrêté du 9 juillet 2009.

Intégration des nouveaux médias
Par voie de conséquence, les non-signataires tels la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), la Société civile des auteurs-réalisateurs- producteurs (ARP), la Fédération française des télécoms (FFT) ou le Syndicat
de l’édition vidéo numérique (SEVN) sont tout de même soumis à ces dispositions.
La nouvelle chronologie des médias est la suivante :

• Jour J pour la sortie en salles • J + 4 mois pour l’exploitation en vidéo physique et exploitation en VOD payante à l’acte (10) • J + 10 mois pour la première fenêtre d’exploitation en chaîne payante si la chaîne a conclu un accord avec les organisations professionnelles du cinéma • J + 12 mois pour la première fenêtre d’exploitation en chaîne payante si la chaîne n’a pas conclu un accord avec les organisations professionnelles du cinéma • J + 22 mois pour la seconde fenêtre d’exploitation en chaîne payante si la chaîne a conclu un accord avec les organisations professionnelles du cinéma • J + 22 mois pour la première fenêtre d’exploitation en chaîne gratuite si la chaîne applique des engagements de coproduction d’un montant minimum de 3,2 % de son chiffre d’affaires (y compris la part antenne) • J + 24 mois pour la seconde fenêtre d’exploitation en chaîne payante si la chaîne n’a pas conclu un accord avec les organisations professionnelles du cinéma • J + 30 mois pour la seconde fenêtre d’exploitation en chaîne gratuite si la chaîne n’applique pas des engagements de coproduction d’un montant minimum de 3,2 % de son chiffre d’affaires (y compris la part antenne • J + 36 mois pour l’exploitation en VOD par abonnement • J + 48 mois pour l’exploitation VOD gratuite.

L’étanchéité des fenêtres a été assouplie. Désormais l’exploitation exclusive dans la fenêtre “télévision” par rapport à la VOD payante à l’acte relève des accords entre les services de télévision et les ayants droit. Par ailleurs, les signataires de l’accord
(s’ils ont pris note que la mise à disposition d’un film dans le cadre d’un service de télévision de rattrapage relevait de la convention passée entre le CSA et l’éditeur du service de télévision) ont tout de même lié cette mise à disposition à la diffusion télévisuelle en linéaire du film et recommandé que cette mise à disposition soit limitée dans le temps et neutralisée en fin de fenêtre. La réforme de la chronologie des médias modernise, sans conteste, « les règles d’exploitation des films afin de les adapter aux nouveaux modes de diffusion », et tend à « favoriser le développement de l’offre
légale ». Toutefois, face au fléau que constitue le piratage pour l’industrie du cinéma,
on peut se demander si cette réforme sera suffisante à cet égard. Le délai de quatre mois entre la sortie en salle et la mise à disposition en VOD payante à l’acte peut paraître trop long.
En effet, les internautes disposent de tous les moyens pour visionner les films qui les intéressent quelques jours après leurs sorties en salle (le piratage consistant parfois
à filmer l’écran de la salle de cinéma), voire avant. Dans ce contexte, ils n’attendront vraisemblablement pas quatre mois pour avoir accès à un film, au surplus payant.
La solution pour lutter efficacement contre le piratage ne résiderait-elle pas dans la simultanéité entre la sortie en salle et l’offre en vidéo à la demande à l’acte plutôt que
dans leur discrimination temporelle ?

Salle et VOD simultanément ?
Telle était la proposition formulée par Luc Besson en décembre 2008 : « Je serais favorable à la création d’une offre premium sur Internet de 48 heures, le samedi
et le dimanche qui suivent la sortie du film en salle. Cette offre pourrait être commercialisée à un prix de 25 à 35 euros ». Mais quel est le « juste prix » que le consommateur est prêt à verser pour visionner un film ? Au-delà de la lutte contre le piratage, d’autres débats sont apparus comme celui de la place de la VOD par rapport à celle du DVD ou celui relatif aux éventuelles distorsions de concurrence issues de la réglementation des fenêtres de télévision payante et des relations entre ces fenêtres et celles de télévision gratuite. L’accord du 6 juillet 2009 prévoit un mécanisme de suivi tous les six mois. Rendez-vous en janvier 2010 ! @