Open eEurope

L’Europe unie, l’Europe puissance, l’Europe créatrice de richesse, de valeurs et de culture : mirage européen ou miracle européen ? Paradoxalement, si l’Union européenne pèse aujourd’hui près de 18 % du PIB mondial, à égalité avec les Etats-Unis (contre près de 16 % pour la Chine), avec le second niveau de vie de la planète, sa fragmentation ne lui permet pas de tirer tout le bénéfice de cette puissance potentielle. Ce décalage est encore plus marqué en ce qui concerne l’Europe numérique, qui n’est que le troisième marché mondial derrière l’Asie et l’Amérique du Nord. Sans parler de sa difficulté à transformer ses formidables atouts dans la recherche et l’innovation en leadership industriel. C’est pourquoi le numérique est devenu une cause européenne majeure, même s’il n’a pas fallu attendre 2025 pour lancer les opérations. Dès fin 2014, la Commission européenne faisait figurer le numérique au premier rang de ses priorités : pour tirer au mieux partie du potentiel des technologies numériques, qui par nature ne connaissent pas de frontières, il lui était indispensable de « casser » (le terme est fort) certaines régulations nationales. Autrement dit éclater les carcans qui contraignaient les télécoms, le droit d’auteur, la protection des données, la gestion de fréquences ou encore la mise en oeuvre de la concurrence et l’harmonisation fiscale numérique.
La promesse était guidée par deux objectifs imparables, bien que difficiles à vérifier : créer jusqu’à 250 milliards d’euros de croissance supplémentaire et des centaines de milliers de nouveaux emplois en moins de cinq ans !

« C’est bien la révolution préalable de
l’Europe unifiée qui a été nécessaire pour
accompagner la révolution numérique. »

L’ampleur de la tâche, à l’instar de la plupart des grands chantiers européens, était immense – voire insurmontable tant les consensus semblaient si difficiles à trouver.
Car s’il est relativement facile de se mettre d’accord sur les constats, tout se complique lorsque l’on passe aux travaux pratiques. Exemple : il semblait évident à tout le monde qu’il était nécessaire d’adapter les droits de la propriété intellectuelle à la révolution digitale. Pourtant, la directive européenne sur le sujet (IPRED) a été pendant très longtemps impossible à réformer. La Commission européenne avait même renoncé à publier son livre blanc sur la réforme proposée, malgré quatre années de concertations et de consultations publiques commencées en 2010. Dix ans plus tard, les nouvelles règles commencent seulement à s’appliquer… L’autre difficulté réside dans leé nombre d’objectifs européens, plus de 100, faisant plus penser à une To-Do List qu’à un plan d’action stratégique : développer le très haut débit pour tous, ne pas prendre de retard sur la 5G, faciliter le déploiement des opérateurs télécoms dans les vingt-huit pays de l’UE, accélérer l’accès des start-up à un marché unique, …, tout en préservant les meilleurs tarifs pour les utilisateurs, en harmonisant les droits d’auteur, ou encore en créant un cadre législatif adapté à l’utilisation des données privées, etc.

Pour (re)créer un leadership européen, il a fallu que les paysclés acceptent de
vraiment collaborer – en dépassant leurs antagonismes historiques – autour de
grands chantiers numériques à mener : unifier les marchés nationaux pour faire bénéficier nos entreprises du levier de l’immense marché intérieur, tout en construisant une Europe de la recherche et de l’innovation. Pour y parvenir, le décloisonnement
à tous les étages fut nécessaire : autorité de contrôle unique, Open Government permettant la numérisation des services publics et la mise en place de centrales d’achats publiques transnationales, campus de recherche étendus et clusters transrégionaux d’innovation et d’entreprises, … Autant d’actions qui pourraient se résumer par un « savoir-travailler » ensemble, le partage d’expériences se jouant des frontières. Bref, ce fut la mise en place d’une culture européenne commune forgée jour après jour.
C’est bien la révolution préalable de l’Europe unifiée qui a été nécessaire pour accompagner la révolution numérique. Cela nous semble encore nouveau, quand un Stefan Sweig prônait, dans un discours écrit en 1932, qu’il lui semblait important « de réaliser l’union culturelle de l’Europe avant son union politique, militaire et financière ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Les scénarios du Net
* Directeur général adjoint de l’IDATE, auteur du livre
« Vous êtes déjà en 2025 » (http://lc.cx/Broché2025).
La session de clôture du DigiWorld Summit (18-20 nov. 2014)
aura pour thème « Quel rebond possible pour
l’Europe du numérique ? » : www.digiworldsummit.com