Les opérateurs télécoms veulent prendre le contrôle de l’Internet et de la diffusion de contenus

A défaut d’avoir été des Internet natives, le monde sous IP leur ayant été imposé par l’industrie informatique dans les années 90, les opérateurs télécoms veulent aujourd’hui reprendre la main sur le réseau des réseaux et devenir diffuseurs de contenus (vidéo en tête).

Par Charles de laubier

C’est un tournant historique qui est en train de s’opérer dans le monde de l’Internet, quarante ans après la création du réseau des réseaux. Les opérateurs télécoms, qui ont dû devenir à partir des années 1990 fournisseurs d’accès à Internet (FAI) dans un univers ouvert, veulent rajouter une corde à leur arc : la diffusion de contenus sur Internet.

Orange, SFR, Bouygues Telecom, TDF…
Pour cela, France Télécom-Orange, SFR, Bouygues Telecom, mais aussi BT, Deutsche Telekom, Telefonica ou encore AT&T, se diversifient progressivement dans le métier de CDN (Content Delivery Network). Le principe de ce maillon devenu essentiel dans la chaîne de valeur d’Internet est de stocker les contenus du Web ou des applications sur des serveurs locaux situés à proximité des internautes et des mobinautes pour mieux les distribuer (1). Les paquets IP ont ainsi moins de temps à parcourir sur le réseau, surtout si un même contenu est demandé par le plus grand nombre. « Les FAI cherchent à construire eux aussi leur propre CDN, ce qui peut fortement modifier le paysage de l’interconnexion », prévient l’Idate dans une étude (2) réalisée pour le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Les CDN se sont imposés dans le paysage du Net en permettant aux fournisseurs de contenus d’optimiser la distribution de leur trafic Internet : réduction des coûts de bande passante, qualité de service, rapidité d’affichage et protection des contenus. Akamai, Limelight, Level 3, Cedexis et des dizaines d’autres CDN ont ainsi pu s’imposer entre les opérateurs de réseaux et FAI, d’un côté, et les fournisseurs de contenus et les médias audiovisuels, de l’autre. Avec l’explosion de la vidéo, ces aiguilleurs du Net deviennent stratégiques et s’approprient une part de plus en plus importante de la création de valeur. Les opérateurs télécoms l’ont compris et se lancent à leur tour dans cette nouvelle activité. « En France, Orange et SFR sont particulièrement actifs sur ce sujet, sur lequel intervient aussi depuis peu TDF, en partenariat avec quelques opérateurs. SFR disposerait désormais d’une offre commerciale, même si le déploiement reste encore modeste. Orange a surtout réalisé des déploiements en Europe à but interne et réfléchit à des ouvertures aux tiers de son CDN. Enfin, TDF via sa filiale SmartJog (3) a été le premier acteur français à lancer en juillet 2011 MediaConnect, une plateforme de distribution de contenus sur Internet dédiée », constate l’étude de l’Idate. Bouygues Telecom s’y répare activement. En remontant ainsi dans la chaîne de valeur de l’Internet, les opérateurs de réseau affirment encore plus leur volonté de ne pas être réduits à de simples dump pipes – autrement dit des réseaux passifs – mais d’accroître l’intelligence de leurs infrastructures, quitte à apporter eux-mêmes les contenus aux internautes et mobinautes. Orange, par exemple, est particulièrement motivé avant de prendre le contrôle total de Dailymotion en janvier 2013. En devenant « Telco CDN », les opérateurs de réseaux tentent ainsi de prendre la main sur Internet face à l’offensive des géants du Net sur ce créneau tels Amazon, Microsoft ou Google/YouTube. Amazon, qui est considéré comme le pionnier du « in-the-cloud », a été le premier d’entre eux à avoir lancé dès 2006 – en s’appuyant sur ses propres infrastructures – une offre de CDN (4) proposée aux autres acteurs du Web. « Il n’est pas impossible que nous investissions un jour dans des data centers ailleurs et, pourquoi pas, en France », a d’ailleurs indiqué en juin Andy Jassy (5), vice-président d’Amazon Web Services (AWS). Mais d’autres nouveaux entrants sur le marché des CDN pourraient passer à l’offensive comme Yahoo, eBay ou même Facebook qui gèrent déjà euxmêmes non seulement leur hébergement de « Big Data » mais aussi leur infrastructure d’équipements de raccordement réseau. Si les opérateurs télécoms ne veulent pas se faire doubler là aussi par les OTT (Over-The-Top) sur ce marché prometteur. C’est aussi un moyen pour les opérateurs de réseau de reprendre le contrôle de la diffusion de contenus jusqu’au plus près des abonnés, afin de leur offrir une qualité de service accrue provenant de l’Internet ouvert (best effort), à défaut de pouvoir en faire un réseau managé de bout-en-bout comme pour l’IPTV (6).

Un “Telco CDN” : mieux qu’un CDN ?
C’est à se demander si un opérateur de réseaux n’aurait pas intérêt à acquérir Akamai ou un autre CDN, avant qu’un Google ou un Apple ne s’en emparent (7)… Quoi qu’il en soit, un CDN d’opérateur télécom a des atouts. « L’opérateur peut en effet “descendre” dans le réseau, à la limite du réseau de collecte voire à celle du réseau d’accès. (…) En étant plus proche de l’usager final (…), le telco CDN peut théoriquement offrir une meilleure qualité de service que le CDN, en particulier pour les fichiers de grosse taille », explique l’Idate dans son étude. @