Sweet digital home

C’est la première fois que je rends visite à mon oncle
depuis que sa famille a emménagé dans l’un de ces nouveaux e-quartier, dont les luxueuses publicités envahissent nos écrans depuis quelque temps. Ma curiosité est à son comble ! Le portail d’entrée s’ouvre comme par magie à la seule vue de mon visage et au son de ma voix. Autant pour m’impressionner que pour jouer avec ses nouveaux gadgets, ma tante déclenche une véritable féerie zen : les murs et le plafond m’accueillent en s’éclairant d’une agréable lumière bleue, au son d’une de mes musiques préférées. A l’intérieur, l’écran est roi. Des écrans plats dans chaque pièce comme autant de fenêtres grandes ouvertes sur le Net. Des tablettes personnelles posées ici ou là, comme autrefois autant de livres en instance de lecture. Jusqu’aux miroirs des salles de bain qui affichent l’heure, la météo, une vidéo ou la retransmission d’un programme radio. Je ne parle même pas des systèmes de sécurité et de gestion domestique qui se sont faits oublier en œuvrant en silence, tandis que quelques robots spécialisés prennent en charge
des tâches domestiques répétitives. Mes hôtes, qui ne me font grâce d’aucun détail, tiennent à me présenter à ces personnages d’importance que sont l’aspirateur et la repasseuse.

« Avec l’aide d’une “box”, de WiFi et d’un peu de courant porteur, des millions de ménages ont pu faire l’expérience concrète de la mise en réseau d’ordinateurs, de téléphones et de téléviseurs »

Ce rêve technologique est devenu bien réel, même s’il ne reste accessible qu’à quelques privilégiés, tendance « bobo geek ». D’autant que s’il est un domaine dont l’évolution est lente, c’est bien celui de l’habitat soumis à maintes contraintes, au premier rang desquelles nos habitudes : une maison dans l’imaginaire collectif, c’est avant tout quatre murs, un toit et une cheminée qui fume. Longtemps, les maisons d’avant-garde sont restées un sujet de curiosité et de recherche. En 1957, une maison du futur fut construite au cœur du parc Disneyland qui proposait ainsi de visiter le foyer type des années 1980. Après avoir été démoli, elle a été reconstruite en 2008 en partenariat avec Microsoft, HP et Lifeware pour en faire une toute nouvelle attraction. Malgré ces visions futuristes, l’intelligence a mis beaucoup de temps pour passer du labo au foyer. Les décennies passèrent sans que ne soient tenues les promesses de
ce qu’il était convenu d’appeler la domotique. A tel point que durant les années 1990, nous n’osions plus utiliser ce vocable trop souvent associé à un vaste cimetière d’innovations. Pendant ce temps, s’ouvrait l’ère des automatismes domestiques. Composants, micromoteurs et capteurs ont permis le développement d’un réel marché, tout d’abord tiré par la gestion climatique et la sécurité (fermetures automatisées, vidéosurveillance). La nouveauté des années 2000 aura été le développement des premiers réseaux domestiques si souvent annoncés, et tant attendus car sans eux
rien n’est possible. Avec l’aide d’une box, de WiFi et d’un peu de courant porteur, des millions de ménages ont pu faire l’expérience concrète de la mise en réseau d’ordinateurs, de téléphones et de téléviseurs.
Une nouvelle guerre économique s’ouvrait entre les fournisseurs de solutions autour
de quelques questions clés. Où stocker les contenus ? Quel pilotage pour les solutions du foyer numérique ? Faut-il choisir entre la box et le téléviseur ? Finalement, le marché s’est d’abord organisé autour de solutions combinant terminaux, offres de services et contenus propriétaires, tandis que se développaient des solutions techniques permettant une meilleure interopérabilité au sein du foyer : soit par des terminaux interopérables, soit par un serveur multimédia central. Nous avons ensuite assisté à une montée en puissance progressive de l’intégration de services et de contenus au sein du terminal. C’est récemment que le basculement vient de se produire vers des solutions en ligne et qui se résume en une formule : le « home in the cloud ». Maintenant que les TICs ont envahi nos foyers, mon oncle, comme celui de Jacques Tati en son temps, trône au milieu d’un palais des Mille et une nuits de banlieue. Et je me pose avec lui cette question existentielle, presque vitale : ma maison tournera-t-elle sous Windows, sous Androïd, sous Linux ou sous le dernier OS d’Apple ? @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Le e-commerce
*Depuis 1997, J.D. Séval est directeur marketing et commercial de
l’Idate. Rapport sur le sujet : « Digital Home : le marché mondial
des équipements du foyer numériques », par Laurent Michaud