Alain Bazot, président de UFC-Que Choisir : « La licence globale est une révolution inévitable à long terme »

Le président de l’Union fédérale des consommateurs, Alain Bazot, explique à Edition Multimédi@ qu’il entend peser dans le débat sur la neutralité d’Internet
et estime que les industries culturelles font fausse route en privilégiant le répressif plutôt que l’offre de qualité. Il critique la carte musique.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Après le feu vert que la Commission européenne a donné – pour deux ans – à la « carte musique » pour les jeunes (1), le gouvernement français l’a lancée le 28 octobre. Qu’en pensez-vous ? Alain Bazot (photo) : La carte musique jeune ne fait que créer un phénomène d’aubaine. Mais, comme toute forme
de subventionnement (l’automobile est à ce titre riche d’enseignements), elle n’aura qu’un effet limité dans le temps. On peut s’attendre seulement à une augmentation ponctuelle des revenus des maisons de disque, revenus provenant indirectement des ménages via l’impôt. Mais il serait illusoire de penser que cela conduira des consommateurs vers une offre qu’ils ont boudée jusqu’à présent. D’autant plus que ce rejet est bien plus dû à sa mauvaise qualité qu’au partage (copie privée, peer-to-peer, réseaux communautaires, piratage, …). On peut distribuer des liasses de billets aux consommateurs consommateurs mais tant que l’offre musicale
en ligne ne lui semblera pas de qualité, il ne la considérera pas comme un mode de consommation « normal » des œuvres culturelles. Le partage est une conséquence et non pas une cause !

EM@ : Pensez-vous que le débat sur une licence globale – obligatoire ou volontaire – soit définitivement clos, voire tabou ?
A. B. :
La licence globale (ou contribution créative) est une révolution nécessaire. Elle n’est qu’une évolution normale de la contribution pour copie privée, puisque l’on passe progressivement d’une logique de stockage (téléchargement) à une logique de flux (streaming). Certains feignent de ne pas voir cette évidence et affirme que le débat
est clos. Mais tous les acteurs du secteur le savent, y compris les majors : la licence globale est inévitable à long terme. Elle reste pour l’industrie du disque la solution de
la dernière chance. Lorsque la filière musicale aura épuisé tous les recours visant à garder le plus longtemps possible le contrôle du marché, elle ressortira cette idée tout en essayant de la reconstruire à son avantage. D’ailleurs, certaines majors n’ont-elles pas proposé une licence globale aux campus universitaires américains pour faire face
à l’incontrôlable explosion du partage entre étudiants ?

EM@ : Pourquoi UFC-Que Choisir n’a pas participé aux réunions de la mission Hoog sur la gestion collective – obligatoire ou volontaire ? – des droits musicaux ? A. B. : Normalement, la médiation de Emmanuel Hoog vise à étudier comment collecter et se répartir les droits perçus. Dans ce cadre, la présence de UFC-Que Choisir ne serait pas légitime. Cependant, les maisons de disques ne semblent pas sur la même longueur d’onde et vont jusqu’à remettre en cause la nécessité de la gestion collective. Dans ce contexte, il pourrait être opportun que UFC-Que Choisir rencontre Emmanuel Hoog pour lui signifier l’importance d’une gestion collective obligatoire pour débloquer le marché. Sans cela, nous doutons qu’un jour les consommateurs aient une offre digne de ce nom. Une gestion collective volontaire n’offrira aucune garantie. Car si les principaux détenteurs de catalogues n’y adhèrent pas, l’effet sera nul, et même s’ils y adhèrent, le risque qu’ils se retirent lorsque le sujet sera clos est important, ce qui empêchera les investisseurs (dans l’offre en ligne) d’avoir une visibilité de long terme.

EM@ : Le gouvernement prévoit de transposer par ordonnance – avant le 25 mai 2011 – plusieurs directives, dont le « Paquet télécom » censé préserver la neutralité du Net. Regretterez-vous l’absence de débats au Parlement ?
A. B. :
Nous sommes bien entendu assez déçus. Les décrets, qui ont été soumis à consultation, devraient proposer une simple transposition du Paquet télécom. Ce qui est clairement insuffisant. En effet, si ce dernier impose une nécessaire transparence de l’information, il ne garantit absolument pas la pérennité d’un Internet neutre et ouvert. En l’occurrence, il aurait était souhaitable que le projet de loi propose un meilleur encadrement sur la base, par exemple, des lignes directrices de l’Arcep (2)
et que ce texte soit discuté pour prendre en compte les attentes des consommateurs. La neutralité d’Internet est un enjeu fondamental pour notre société et mérite donc un vrai débat. Des parlementaires se saisissent du sujet pour déposer quand même des propositions de loi (3). UFC-Que choisir souhaite que ces initiatives conduisent à un projet de loi complémentaire qui soit représentatif des débats.

EM@ : UFC-Que Choisir est en procès sur les clauses de Free mais soutient Free Mobile comme quatrième opérateur mobile. Où en sont vos procès et la médiation ? A. B. : Il est nécessaire d’insuffler de la concurrence sur le marché mobile. Nous soutenons l’entrée d’un nouvel opérateur. Si un opérateur télécoms ou un fournisseur d’accès à Internet (FAI) semble ne pas vouloir respecter les règles ou adopte un comportement déloyal envers le consommateur, nous nous réservons le droit d’agir en conséquence et s’il le faut d’aller en justice. C’est vrai pour Free mais aussi plus récemment pour Orange et SFR dans le domaine de la 3G. La médiation avec Free est un échec ; l’affaire va se poursuivre devant le juge. Les différentes autres procédures sont toujours en cours.

EM@ : Les FAI vont-ils répercuter la hausse de la TVA ?
A. B. :
Il paraît inévitable que les FAI répercutent la TVA sur les prix. Les opérateurs télécoms vont devoir investir plus intensément dans les réseaux de nouvelle génération
et ils ne peuvent pas digérer indéfiniment de nouvelles taxes. Les FAI pourraient saisir l’occasion pour dire au gouvernement qu’ils ne sont pas les pompiers des industries déclinantes, notamment l’industrie de la culture. Cependant, la vraie question autour de cette affaire est : les FAI ne vont-ils pas utiliser ce prétexte pour redéfinir leurs offres
de manière à augmenter les prix et tirer plus de revenus de cette activité ? Là est notre crainte !

EM@ : Le quadruple play va-t-il figer le marché ?
A. B. :
Le quadruple play semble être les prémisses d’une évolution inévitable du marché : la convergence des réseaux fixes et mobiles. On ne peut aller contre le sens de l’histoire. Par contre, cela pose de nouveaux problèmes qui appellent une évolution de la réglementation. Il faudra, par exemple, s’assurer que le consommateur puisse être mobile d’un opérateur à l’autre et emmener avec lui à la fois les numéros auxquels il peut être joint mais aussi ses données, ses contenus multimédias, les services et les applications qu’il aura acquis.

EM@ : Craignez-vous d’autres « Hadopi » en Europe ?
A. B. :
La surenchère répressive est effectivement un risque majeur, tant en France qu’en Europe. La Commission européenne semble de plus en plus sensible aux thèses de certains ayants droits obsédés par ce qu’ils appellent « le piratage ». La direction du Marché intérieur parle aujourd’hui ouvertement de technologies – comme le filtrage DPI (Deep Packet Inspection) – utilisées dans les pays totalitaires ou pratiquant la censure, comme de solutions envisageables. Mais celles-ci soulèvent d’importants problèmes quant aux libertés fondamentales comme la liberté d’expression et seraient très coûteuses à mettre en place. Il faut rappeler que le site de musique en ligne Jiwa
est mort (4) et qu’on se demande qui – à part Apple – gagne de l’argent grâce à la distribution et la diffusion de contenus musicaux. Et ne parlons pas du cinéma : l’offre de films en ligne est caricaturalement indigente à cause d’une chronologie des média anachronique et d’un régime d’« exclusivités » scandaleusement restrictif. @