Screen Cities

Comme tous les matins, lorsque je prends le tram, l’attente est un peu moins longue à l’abri de ces nouvelles stations qui se sont couvertes d’écrans : écrans d’informations sur
le trafic et le temps qu’il fera, écrans tactiles pour des recherches personnelles ou écrans de publicités interrogeables via mon mobile. Et si mon regard se porte au-delà, la perspective qui s’offre à moi est un troublant mélange de lieux immuables et d’images animées portées par des centaines d’écrans vidéo illuminant les édifices publics, les affiches et les boutiques. Matérialisation tangible de
la ville devenue numérique, les écrans ont envahi nos rues. Après s’être électrisées de mille feux au début du XXe siècle, nos villes se sont couvertes d’innombrables écrans, publics et personnels, véritables nouvelles lumières de nos villes. Alors que le lampadaire et les transports urbains firent sortir la ville de l’ombre et de ses frontières ancestrales, les écrans et les réseaux numériques ont ouvert aux citoyens et à leurs cités une nouvelle dimension. Loin de n’être que virtuelle, celle-ci redessine la ville, ses quartiers, son horizon même. Pour moi qui ai toujours assimilé la ville à un grand livre ouvert c’est un plaisir constant que d’entrer de plain-pied dans cette révolution digitale urbaine.

« Alors que le lampadaire et les transports urbains firent sortir la ville de l’ombre et de ses frontières ancestrales, les écrans et les réseaux numériques ont ouvert aux citoyens et à leurs cités une nouvelle dimension. »

Quand Haussmann ouvrait des boulevards dans un Paris encore médiéval, nos édiles enveloppent nos quartiers dans des nuages de données et d’objets interconnectés.
Pour y arriver, il aura fallu une très longue période de tests et la volonté de nombreuses villes pilotes. La première condition a bien sûr été de disposer des réseaux très haut débit, fixe et mobile, capables de supporter de nouveaux services de plus en plus gourmands en bande passante. Les grandes capitales ont parfois été aux avant-postes, mais les initiatives sont souvent venues de plus petites agglomérations – à l’instar de Pau en France, de Salerne en Italie, d’Oulu en Suède ou encore de Songdo en Corée du Sud.
Il reste cependant que la question de la fracture numérique se pose encore, ainsi en 2010, seulement 40 % des communes françaises de moins de 100.000 habitants étaient équipées d’un site Web. Tous les domaines de la vie citoyenne sont désormais concernés : le touriste se guide grâce à des applications en réalité augmentée ; l’automobiliste dispose d’informations en temps réel sur le trafic, la circulation, les places disponibles et le prix des stationnements ; le malvoyant peut compter sur son mobile et sa canne numérique pour mieux se déplacer dans son environnement. Même l’artiste s’est approprié ce nouvel espace urbain virtuel : il dessine une partie de son tag sur un mur et son complément sur une application, qui, une fois réunis sur un écran mobile, délivrent son message. Tous les citoyens disposent désormais d’outils numériques augmentant leur réalité citadine.
Les villes sont au sommet d’une montagne de données, dont elles n’ont que peu à peu pris la mesure et le contrôle (éducation, santé, travail, loisirs, transport, administration, …). Souvenons nous que les premiers à s’y être intéressés dans les années 90 sont les sociétés de cartographie comme Téléatlas ou les Mormons qui faisaient la tournée des communes pour numériser les précieuses informations dormant dans nos registres d’état civil et les registres paroissiaux. Dès 2009, une ville comme San Fransciso partageait plus de 150 bases de données, ouvertes à tous et proposant une trentaine de services sur iPhone : localiser les bus, disposer de statistiques sur la propreté des restaurants, permettre de connaître le niveau réel de délinquance de son quartier, s’informer sur le nom de ses voisins … Autant d’informations géolocalisées et associées à Google Map. Certains ont vu dans cette transparence de l’information citoyenne, l’avènement de la cité idéale. D’autres la craignent, parfois à raison. Pendant ce temps, la ville se transforme irrémédiablement sur fond de légendes urbaines : il paraît qu’une fois par an à minuit, un internaute anonyme, connu sous le pseudo de Jack the Screener, prend le contrôle durant quelques minutes de tous les écrans de la ville de Londres ! @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Mobile Stores
Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est directeur marketing
et commercial de l’Idate. Rapport sur le sujet : « Enquête
Communes & TIC 2010 » par Anne Causse.