La télévidéo

Comme le Livre nous fut donné par la voix descendue du Ciel d’un Dieu tout puissant, nos programmes de télévision nous sont longtemps parvenus par la bonne volonté de mystérieux directeurs des programmes, nouveaux grands prêtres de cette véritable religion cathodique, restés dans l’ombre des vedettes du petit écran. La vidéo, comme le
livre en son temps, aborda la dimension horizontale en se démocratisant par la conquête de tous les réseaux et tous les terminaux. Après des décennies de télévision linéaire associée à une consommation réputée passive, voici qu’une nouvelle forme d’accès
actif aux programmes s’impose. Par la force de la numérisation et de l’« internétisation » des médias et des contenus, nous avons désormais accès à une vidéothèque planétaire. Comme dans une bibliothèque en ligne personnelle extraordinaire, nous pouvons désormais piocher à loisir des vidéos aussi facilement que nos ancêtres choisissaient leurs livres bien rangés sur des rayonnages, au gré de leurs envies.

« Les plates-formes de SVOD non seulement
concurrencent les offres de VOD traditionnelles,
mais aussi rivalisent avec la télévision à péage. »

Le passage d’un système audiovisuel à l’autre – véritable révolution copernicienne nous faisant passer d’un monde centré autour de la télé du salon à un univers sans limite aux multiples étoiles – s’est fait dans une effervescence coutumière des changements de paradigme concurrentiel. Une multitude d’offres et d’acteurs d’horizons très divers se lancèrent à l’assaut de ce nouveau marché, alors même que les chaînes, en position défensive, ne furent pas les premières à se positionner : les opérateurs télécoms (Comcast, Orange), les géants de l’Internet (Amazon, Google), les industriels (Apple, Microsoft), les commerçants (La Fnac, Virgin), les distributeurs de DVD (Netflix, Videofutur), les agrégateurs (CinemaNow, Vodeo) et même les professionnels du
cinéma (Dorcel, UniversCiné). Sans oublier bien sûr la nébuleuse de plates-formes, illégales ou pas, bien installée avec leurs catalogues gratuits et très complets.
Rien qu’en 2010, on comptait plus de 600 services de VOD légaux pour la seule Europe. Cette ébullition bien réelle, n’aura été finalement qu’une phase de transition, longue et essentielle à la recomposition des modes de distribution et de consommation des contenus audiovisuels. Si le paiement à l’acte a pu se développer en raison de sa souplesse, il est clairement en perte de vitesse depuis que se généralisent les offres
de VOD par abonnement (SVOD). Marginal il y a dix ans par rapport à un marché de la VOD de plus de 5 milliards d’euros en 2012, le chiffre d’affaires de la SVOD représente aujourd’hui près de la moitié d’un marché total en forte augmentation, à près de 20 milliards (VOD et SVOD cumulées).
Avec le succès initial rencontré par des services comme Netflix ou Hulu aux Etats-Unis, les plates-formes de SVOD non seulement concurrencent les offres de VOD traditionnelles, mais aussi rivalisent avec la télévision à péage, pourtant première source de revenus du marché de l’audiovisuel. Les opérateurs de la télévision à péage eux-mêmes se sont eux aussi fortement impliqués dans le développement d’offres à la demande pour élargir la gamme des services offerts à leurs abonnés et toucher un
public nouveau. Ces services présentaient l’avantage de proposer un important catalogue et d’être plus facilement accessibles.
Cependant, malgré leur notoriété et la remise en question profonde qu’ils provoquèrent chez les acteurs historiques de la Pay-TV, les services de SVOD ne pèsent encore que faiblement sur le marché total, avec largement moins de 10 % du chiffre d’affaires cumulé Pay-TV et SVOD. Si les prix jouent en leur faveur, leur positionnement dans la chronologie des médias, les modalités d’accès aux contenus et leur capacité à détenir des droits ont longtemps fragilisé ces services à la demande face à la télévision linéaire. Véritable poil à gratter du paysage audiovisuel français, la VOD est moins une menace directe de l’industrie audiovisuelle que le symptôme de la remise en cause profonde d’un secteur déjà bousculé par les nouvelles chaînes de la TNT, sans compter les nouvelles forces que représentent la TV connectée, la Mobile TV ou la Social TV. Ensemble, ils tendent à détrôner les positions dominantes et à rebattre les cartes. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Terminaux OTT
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut vient de publier son étude
« Pay-TV contre SVoD : Entre complémentarité et
concurrence », par Florence Le Borgne et Alexandre Jolin