Culturethèque

En poussant la porte de ma “culturethèque” de quartier ce samedi matin, c’est également une fenêtre qui s’entrouvre sur toutes ces bibliothèques grâce auxquelles, au fil du temps, j’ai aimé découvrir, au détour de linéaires souvent poussiéreux, des trésors endormis. Ce n’est pourtant plus des livres que je viens consulter, même si quelques étagères accueillent encore des ouvrages à côté d’une sélection de musique, de films et de journaux. Comme moi, les citoyens n’ont pas déserté ces lieux de diffusion des savoirs qui ont dû et su s’adapter tout au long de ces dernières années. Certains avaient en effet annoncé la disparition des médiathèques à l’heure de la numérisation accélérée des livres et de la diffusion effrénée des fichiers musicaux et vidéo. Mais, au rebours de ce sombre pronostic, ces lieux privilégiés de partage populaire, au nombre de plus de 3.000 en France, remplissent toujours ce rôle qu’ils ont, peu à peu, conquis par la volonté de quelques précurseurs. Comme l’étonnant Alexandre Vattemare au XIXe siècle, qui fut le premier promoteur des bibliothèques publiques, ou comme l’Américain Melvil Dewey et du Français Eugène Morel au XXe siècle.

« Nos bonnes vieilles médiathèques proposent des prêts numériques de fichiers de livres ou de musiques “chrono-dégradables” ».

La concurrence fut rude. En 2010 encore, des médiathèques conçues comme des espaces de consultation multimédia s’ouvraient un peu partout sur le territoire – alors que la vague des contenus numériques culturels montait encore en puissance. Google posait « contentieusement » les jalons de son projet pharaonique de plus grande bibliothèque du monde. A cette époque l’index de Google Books affichait quelques
13 millions de documents quand on estimait le nombre de livres dans le monde à plus de 130 millions.
Le projet avançait et talonnait de près les poids lourds du domaine : la Bibliothèque
du Congrès à Washington avec ses 22 millions d’ouvrages, les 17 millions de la Bibliothèque nationale allemande ou les 15 millions de la Bibliothèque nationale de France. Par ailleurs, de nombreuses initiatives, désordonnées, faisaient avancer la notion de médiathèque personnelle avec l’idée de mettre à disposition de chacun des comptes numériques, véritables centres de stockage permanents : dédiés à l’écrit avec Amazon, aux films avec l’initiative Ultra Violet supportée par les majors d’Hollywood, ou à presque tous les contenus avec Apple. Nos bonnes vieilles médiathèques ne sont pas restées à la traîne : elles ont proposé assez vite des solutions de prêts numériques, en s’appuyant sur des systèmes développés par Numilog ou Bibliomédias qui permettent l‘emprunt de fichiers de livres ou de musiques « chrono-dégradables ». Avant d’aboutir aujourd’hui à un accès à domicile ou via nos terminaux mobiles à de larges pans de la culture de l’humanité, il a fallu un très long mouvement historique de lente démocratisation du savoir : des grandes bibliothèques royales de tablettes d’argile de Ninive aux papyrus d’Alexandrie, en passant par les scriptoria du Moyen-âge, les cafés littéraires du Siècle des Lumières et les bibliothèques municipales.
Dans ce contexte, si les grandes bibliothèques nationales, dont les missions ont fortement évolué, sont toujours garantes des dépôts légaux et de la mémoire collective, que reste-t-il de nos médiathèques dès lors que s’affaiblit le prêt, cœur de leur activité ? Elles ont, une fois encore, accompagnée cette mutation. Les années 2000 ont été, à cet égard, une période d’expérimentation créative. Dans le quartier londonien de Tower Hamlets le concept des Idea Stores a été expérimenté, médiathèques d’avant-garde, ouvertes sept jours sur sept en libre-service, avec crèche et café, combinant services d’information, de formation continue, de rencontres et de loisirs. De nouvelles pistes
ont ensuite été explorées avec les outils de production nécessaires à un public devenu également créateur de contenu : plates-formes d’édition, studios d’enregistrement ou espace de création graphique, … Les bibliothécaires d’aujourd’hui, grâce à leurs recommandations, recréent avec les lecteurs une communauté d’usagers avertis, et ils assurent des tâches variées allant de l’aide à la recherche au tri de contenus en ligne, devenus pléthoriques, en passant par la formation aux nouveaux modes d’expressions numériques. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : La 4G
* Jean-Dominique Séval est directeur général adjoint
de l’Idate, qui conduit de nombreuses missions d’études
et réflexion sur les contenus numériques culturels
et sur l’avenir des médiathèques.