Pierre Bellanger, Skyrock : « Je crois utile que s’ouvre le chantier d’une nouvelle loi sur la radio »

Pour le PDG-fondateur de Skyrock, radio libre créée il y a près de 25 ans, la radio numérique terrestre (RNT) est une technologie dépassée. Pierre Bellanger explique à Edition Multimédi@ pourquoi la radio IP – sur Internet fixe et, de plus en plus, mobile – va changer la donne.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : La RNT ne sera pas lancée cette année mais en 2011. Finalement, le 8 avril, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) n’a rien décidé et a renvoyé le gouvernement à « ses responsabilités ». Pourquoi la solution hybride IP/broadcast – avec financement de démarrage par TDF – ne pourra pas être possible dès cette année ? En appelez-vous au grand emprunt ?
Pierre Bellanger (photo) :
La radio numérique existe déjà par câble, ADSL, satellite et terminaux mobiles. La RNT propose de rajouter un mode supplémentaire de distribution de la radio numérique nécessitant un nouveau réseau d’émetteurs et un nouveau parc de récepteurs. C’est un investissement lourd à amortir sur au moins deux décennies. Cependant, la RNT est une radio numérique non-IP, c’est-à-dire qu’elle n’est pas au protocole Internet. Comment justifier la création d’un réseau non-IP au moment où l’Internet fixe, et demain mobile, révolutionne tous les médias ? Pourquoi un auditeur jetterait-t-il son poste FM actuel pour le remplacer par un poste de radio numérique avec une offre de radios plus ou moins équivalente ? Pourquoi préférerait-il demain cette radio non IP, avec quelques dizaines de programmes, comparée à l’offre de radios IP qui est illimitée ? Aujourd’hui, il serait trop tard pour lancer le CD. Il en est de même pour la RNT, qui est une technologie dépassée sans avantage significatif pour les auditeurs et sans modèle économique ni perspective pour les éditeurs. Les perfusions d’argent public ou les avantages commerciaux n’y changeront rien.

« Toutes ces questions doivent se poser dans le cadre d’une réflexion globale sur l’âge hybride FM-IP qui s’ouvre devant nous. C’est pourquoi, je crois utile que s’ouvre le chantier d’une nouvelle loi sur la radio. »

EM@ : Skyrock a rejoint, il y a près d’un an, l’association Les Réseaux des Indépendants au lieu d’adhérer au Bureau de la Radio. Qu’est-ce qui diffère entre ces deux organisations, notamment en matière de numérique (webradios, RNT, …) ? Y a-t-il des différences de stratégie numérique entre, par exemple, les deux pionnières des radios libres NRJ et Skyrock ? Lesquelles ? Les seuils ont-ils
en outre un sens à l’heure du Net ?
P. B. :
Nous avons été, avec d’autres, à l’initiative de cette association informelle
– Les Réseaux des Indépendants – car les intérêts des réseaux indépendants ne sont identiques à ceux des groupes. Garants de la diversité des éditeurs et des programmes au niveau national, nous cherchons à la maintenir et la développer. Même si les convergences sont nombreuses avec le Bureau de la Radio, la discussion directe avec les pouvoirs publics montre que notre rôle et nos spécificités sont compris, une voix propre est donc utile. NRJ partage aujourd’hui notre point de vue sur la RNT. Oui, les seuils ont un sens à l’heure du Net, car FM et IP ne sont pas encore aujourd’hui des réseaux de distribution équivalents. La ressource hertzienne FM est limitée et doit être régulée ; la radio IP changera la donne mais elle est encore aujourd’hui marginale.

EM@ : Skyrock.com arrive en tête des sites web certifiés en France par l’OJD
(137 860 062 visites au mois de février). Comment expliquez-vous ce succès de fréquentation ? Tandis que l’antenne Skyrock arrive en 6e position en terme d’audience cumulée en France selon Médiamétrie de novembre-décembre 2009. Voyez-vous une corrélation entre l’audience des sites communautaires et de l’antenne ? Pourquoi ?
P. B. :
Skyrock a un ADN : la libre expression populaire de la nouvelle génération.
C’est la culture de Skyrock qui rassemble 4 millions d’auditeurs chaque jour et qui est
la première radio de France des moins de vingt-cinq ans depuis plus de quarante sondages. C’est aussi la culture de skyrock.com, qui est le premier réseau social de blogs français et européen avec près de 20 millions de visiteurs uniques chaque mois et 30 millions de blogs actifs. Le point commun, c’est la confiance dans la créativité de la nouvelle génération et le goût de la liberté.

EM@ : DVB-H, T-DMB, DVB-T, DVB-T2, DAB+… La norme de la radio numérique fait toujours débat. Vous prônez la radio IP. Pourquoi estimez-vous que la radio doit plutôt évoluer vers la radio Internet que vers le broadcast ? Entre le hertzien,
le mobile/3G/LTE, le Wifi/Wimax ou encore le satellite, comment voyezvous l’avenir de la « radio à images » ? Qu’expérimentez- vous ?
P. B. :
La radio IP emprunte tous les réseaux IP – fixes ou mobiles – et elle est reçue sur tous les terminaux informatiques connectés restituant le son. Elle apporte un choix illimité et interactif inconnu du broadcast traditionnel. L’offre de programmes est la clef de la réussite. Par ailleurs, la connexion Internet va devenir équivalente au branchement au réseau électrique. La radio IP gratuite est dans le sillage de cette connexion Internet globale où tous les terminaux sont en réseau. Comment imaginer d’ailleurs un poste de radio, demain, qui soit étranger à l’environnement musical informatique que chacun va se constituer entre ses récepteurs fixes et mobiles ? Pour la radio à images, elle a le même avenir que la télé sans images. La force de la radio, c’est justement l’absence d’image. C’est le seul média qui ne mobilise pas l’oeil, c’est sa force. Nous n’expérimentons rien en ce domaine ; le diaporama n’est pas le futur de la radio.

EM@ : Médiamétrie mesure la « catch up Radio » mais Skyrock n’y figure pas : pourquoi ? Skyrock en podcast téléchargés, d’une part, et en streaming différé ou live, d’autre part, est-il important ? Craignez-vous une cannibalisation de l’antenne par le délinéarisé ou le piratage du streaming ? Souhaitez-vous un statut de radiodiffuseur pour les webradios et le streaming ? Quels sont vos projets
en 2010/2011 ?
P. B. :
La radio en différé convient parfaitement à des productions intemporelles, comme certaines émissions de France Culture, ou à des segments humoristiques de radios généralistes, par exemple. Mais elle n’est pas adaptée à de la radio de l’instant présent qui n’a de sens qu’au moment où elle est partagée en direct, ce qui est le cas de Skyrock.
La radio différée n’est pas une concurrence pour la radio vivante immédiate, c’est autre chose. Le streaming constitue une concurrence directe pour les radios FM les plus routinières. Il n’est pas une menace en revanche pour les offres créatives, qu’elles soient parlées ou musicales comme Skyrock. En ce qui concerne le statut des web-radios, toutes ces questions doivent se poser dans le cadre d’une réflexion globale sur l’âge hybride FM-IP qui s’ouvre devant nous. C’est pourquoi, je crois utile que s’ouvre
le chantier d’une nouvelle loi sur la radio. Enfin, nous ne communiquons pas sur nos projets. Désolé ! Je peux simplement dire que nous sommes en situation de
« mobilisation générale », c’est-à-dire que nous pensons que la majorité des accès à nos services Internet se fera dans les 5 ans à partir des terminaux mobiles. Donc, nous nous réinventons pour la mobilité. @