Leçon de choses du Net

C’est au cours d’une simple promenade que j’ai mieux pris conscience de certains changements extraordinaires portés par l’ère numérique. J’avançais lentement sur un chemin, le long d’un champ, perdu dans mes pensées bercées par le bourdonnement incessant des abeilles. Ce n’est que lorsque l’une d’entre elles tomba à mes pieds après un vol inhabituel que je découvris, en y regardant de plus près, un minuscule robot miniature. Je savais bien sûr que nos abeilles étaient menacées et que des recherches avaient permis de remplacer ces agents indispensables à la pollinisation de nos fruits par une telle solution. Mais c’est la première fois que je me retrouvais confronté, en pleine campagne, à un exemple aussi radical de la révolution numérique… et, par certains côtés, assez inquiétant. L’Internet des choses, terme qui aurait pu sortir tout droit d’un recueil des poèmes de Francis Ponge, était devenu une réalité quotidienne, envahissante et indispensable à des activités toujours plus nombreuses. Ce concept, encore flou il y a
dix ans, pouvait déjà se définir par le principe que chaque « chose » est en mesure de se connecter pour échanger des informations permettant d’augmenter sa valeur intrinsèque. Définition qui renvoie à une typologie dessinant de fait un univers très large partant des terminaux communicants, en passant par le Machine-to-Machine, pour s’étendre à la très grande famille de l’Internet des objets.

« Les objets connectés génèrent aujourd’hui des multitudes de données disparates, exploitées par le Big Data, avec
les possibilités offertes par le partage des données. »

Ce marché fut particulièrement attendu. Qu’il est loin le souvenir des générations avortées d’applications domotiques qui, après une quarantaine d’années, finirent par accoucher dans les années 1990 de toute une gamme d’automatismes domestiques, allant du portail automatique aux systèmes d’alarmes et de télésurveillance. L’intelligence de ces objets était alors limitée à quelques routines simples et autonomes, renvoyant la communication et la mise en réseau à plus tard. C’est seulement avec l’apparition de l’appellation
« Internet des objets », inventée en 1999 par Kevin Ashton, pionnier du RFID au MIT, qu’un tel marché a décollé. Timidement d’abord, puisque l’on comptait en 2010 quelques
4 milliards de choses connectées à Internet, pour atteindre les 15 milliards dès 2013 et frôler les 100 milliards en 2020. Aujourd’hui, nous savons que la barre des 500 milliards sera bientôt dépassée ! Derrière la réalité écrasante des nombres, se dessine un marché foisonnant et complexe qui s’est déployé lentement, par l’adoption de quelques secteurs pionniers : entrepôts, parcs automobiles, énergie, santé, … Autant de domaines qui, à partir de techniques de base génériques, ont donné naissance à des applications en silo, enfermées dans leurs logiques sectorielles – application de puces RFID sur des boîtes de médicaments ou de pièces d’équipements aéronautiques – mettant en avant la sécurité et la traçabilité dans une recherche constante d’économies et de retour sur investissement rapide. Cette logique verticale dominante a longtemps exaspéré les partisans d’un Internet ouvert et collaboratif. Cet Internet des choses, cloisonné, était si éloigné de l’Internet des origines et de l’innovation collaborative. Mais l’essor considérable de ce nouveau cyber espace permet aujourd’hui toutes les avancées. Les objets connectés génèrent une multitude de données disparates, le plus souvent exploitées par la puissance du Big Data, dans une logique sectorielle, marketing et commerciale. Mais de nouvelles possibilités ont aussi été offertes par le partage des données. A la suite de pionniers comme Pachube, service web de partage de données produites pas des capteurs, ou Arduino, fournissant des composants à tous ceux qui souhaitent fabriquer leurs propres objets interactifs,
une économie foisonnante et imaginative de l’open data des objets connectés s’est mise également en place. De nouvelles typologies sont devenues indispensables pour décrire de si vastes domaines qui nous échappent en partie. Et tandis que le mythique bureau des objets trouvés de la rue des Morillons à Paris vient de fermer ses portes, les objets géo-localisables ayant peu à peu désertés ses étagères centenaires, nous avons tout le loisir de méditer cette phrase de Gaston Bachelard : « La plus belle chose que nous puissions éprouver c’est le mystère des choses ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Le retour du câble.
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut vient de publier son rapport
« Internet of Things », par Samuel Ropert, consultant senior.