Le dernier des Minitels

Accéder à des services en ligne à partir de tous mes terminaux, fixes ou mobiles, c’est bien la moindre des choses aujourd’hui. Ce service extraordinaire, dont nous
ne pourrions plus nous passer, est apparu en France en 1982, sous une marque qui est devenu aujourd’hui un nom commun : le Minitel. L’innovation de l’opérateur historique France Télécom a rapidement conquis 25 millions d’utilisateurs en 1982 et permis la mise en place d’un écosystème de développeurs et de prestataires de services, autour de ce qu’on appelait alors la télématique. Ce succès planétaire, qui nous surprend encore, tient à une série de conjonctions favorables que nul n’aurait pu prédire. Car dans la foulée, d’autres opérateurs européens ont adopté ce qui est devenu un standard pour toute la communauté. D’autres pays ont été conquis comme le Japon et, plus récemment, les Etats-Unis qui n’ont jamais réussi à développer hors de leur frontière le réseau Arpanet… L’accélération s’est produite à l’occasion de la transposition réussie du modèle Minitel aux mobiles en bénéficiant de la domination internationale de la norme GSM… L’Europe des télécoms, puissante à la fin du XXe siècle, a ainsi non seulement maintenu ses positions mais les a aussi renforcées en entrant dans le XXIe…

« L’écosystème d’Apple est très proche de cet ancêtre
par son modèle fermé, sa maîtrise complète de la chaîne,
du développement jusqu’à la facturation. »

Je ne vais pas maintenir plus longtemps cette fiction, qui ferait une très belle « uchronie » mais qui est, comme vous le savez bien, tellement éloignée de la réalité. Malgré son succès national, le Minitel n’a pas pu mener la bataille de l’Internet. Il a pourtant vaillamment résisté en passant sur la fin à la couleur ou en affichant des images au
format Jpeg. Mais son modèle centralisé, accessible par un terminal sans ressource propre, n’a finalement pas fait le poids face à la promesse d’un Internet ouvert utilisant le potentiel d’ordinateurs de plus en plus puissants. Il a rejoint le cimetière des merveilles technologiques, en avance sur leur temps et difficile à exporter, comme le Concorde,
ou ailleurs le MiniDisc, Second Life ou la navette spatiale. Les armes ont finalement été rendues le 30 juin 2012, date de l’arrêt officiel, malgré l’existence d’encore 400.000 minitélistes. Pourtant, si le Minitel est bien mort, le modèle kiosque à l’origine de son succès lui assure, d’une certaine manière, une postérité prestigieuse. Takeshi Natsuno, responsable du développement chez NTT DoCoMo déclarait s’être directement inspiré du Minitel pour définir les principes de l’i-Mode, qui, lancé dès 1999 au Japon, fit du mobile un terminal incontournable pour accéder à des milliers de services. L’écosystème gagnant d’Apple est également très proche de cet ancêtre par son modèle fermé, sa maîtrise complète de la chaîne, du développement jusqu’à la facturation. C’est d’ailleurs cette redistribution des rôles, favorable au monde de l’Internet, qui a poussé les opérateurs télécoms, sur la défensive, à tenter d’exporter les recettes du Minitel sur Internet. Au Japon, NTT DoCoMo, pour tenter de contrer le succès de l’iPhone qui profitait à son concurrent Softbank, lança un portail de téléchargement d’applications pour sa plateforme i-Mode. En France, les opérateurs lancèrent en 2011, des offres de type kiosque. Connues sous les noms d’Internet+, de SMS+ et de MMS+, ces solutions permettaient aux éditeurs et annonceurs de proposer à leurs clients des contenus et services par Internet, SMS ou MMS via un numéro court à 5 chiffres. Ces plates-formes techniques géraient en temps réel les transactions des commerçants pour des montants de moins de 30 euros, l’identification des internautes, les achats, la facturation et les reversements, comme au bon vieux temps du Minitel. Seuls quelques opérateurs télécoms puissants ont pu mettre en place de telles stratégies, proposant des offres de services avec système de facturation intégré. Cette évolution s’inscrit dans une tendance de fond d’un Internet qui évolue vers un modèle de plus en plus contrôlé, non pas par l’Etat, mais par les opérateurs pris au sens large. Et seuls une certaine nostalgie et un goût immodéré du « vintage » me permettent d’accéder à ma boutique sur Facebook via une fenêtre reprenant l’aspect pixélisé de notre bon vieux Minitel. @

Jean-Dominique Séval*
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