Omniphone

Je sais. Vous avez l’impression que je parle tout seul lorsque vous m’apercevez de loin, au bureau, chez moi ou dans la rue. Mais il faut que vous compreniez qu’aujourd’hui la communication mobile ne se sert presque plus de ces gros téléphones que vous utilisiez encore en 2010. Cela peut sembler surprenant, mais l’étape qui a succédé à l’avènement du téléphone mobile a été aussi celle de sa disparition ou, pour être plus précis, de sa « dissolution » dans notre environnement. Mais pour mieux vous faire comprendre cet apparent mystère, il me faut reprendre le cours de cette épopée extraordinaire. La diffusion des téléphones mobiles est sans doute l’une des plus fulgurantes de l’histoire technique de l’humanité. Il aura suffi d’une période de gestation d’à peine une vingtaine d’année, après que Motorola ait passé le premier appel sur un téléphone cellulaire en avril 1973, suivi par le lancement dix ans plus tard par la même firme du premier téléphone grand public.

« L’Internet s’est libéré des ordinateurs et des réseaux fixes pour devenir pleinement mobile, nous permettant d’accéder au Web à partir de tous les terminaux connectés disponibles : téléphones, e-books, tablettes, appareils photo, jumelles… »

Ce n’est qu’au début des années 1990 que les téléphones cellulaires sont devenus suffisamment petits et bon marché pour intéresser le grand public. L’engouement
ne s’est ensuite jamais démenti : s’il a fallu 20 ans pour atteindre le premier milliard d’abonnés mobiles au tournant de l’an 2000, 40 mois seulement ont été nécessaires pour dépasser le second. La barre des 3 milliards a, elle, été atteinte en 2007, en à peine 24 mois, et celle des 5 milliards en 2010 ! Ce phénomène planétaire tient à de multiples facteurs qui semblent tous jouer comme autant d’accélérateurs, mais dont un des plus puissants est dans doute le désir de possession que suscite ce concentré de technologies qui tient dans la main. Ajoutons à cela qu’il était attendu depuis longtemps, depuis que Dick Tracy, héros de papier, utilisait déjà une montre visiophone en 1931, et que la communication personnelle allait rapidement envahir les œuvres visionnaires des auteurs de l’âge d’or de la science-fiction, de Robert Heinlein dans son « Trois pas dans l’éternité » dès 1953 aux protagonistes de la série Star Trek. Ajoutez à cela, ce fameux Noël où nous avons reçu nos premiers talkies-walkies…. La bataille technologique et industrielle a d’abord concerné les terminaux eux-mêmes, dans une course effrénée à la miniaturisation, la puissance et l’autonomie. Cette première étape, qui permit l’émergence de géants des mobiles européens et nord-américains (Ericsson, Motorola, Nokia, RIM) puis l’entrée en scène des champions asiatiques de la miniaturisation et de la baisse des coûts (LG, HTC, Samsung), s’est finalement terminée, à la surprise générale, par l’irruption du challenger improbable, Apple. Ce dernier imposa de nouvelles règles tant dans le design des produits que le modèle économique des services désormais simplement accessibles, tout en donnant en réalité le coup d’envoi de la seconde bataille qui fut celle des logiciels – des systèmes d’exploitation aux applicatifs – qui permirent enfin de disposer de véritables services répondant vraiment au slogan devenant ainsi réalité : everywhere, everytime, everyone. Pour cela, il aura fallu que les géants du Net, que sont toujours Microsoft et Google, acceptent une paix armée avec les nouveaux géants internationaux des télécoms,
afin que les atouts des premiers puissent bénéficier des nouvelles ressources indispensables consenties par les investissements en réseaux mobiles de quatrième génération des seconds.
Ainsi, longtemps après avoir été annoncé, l’Internet s’est libéré des ordinateurs et des réseaux fixes pour devenir pleinement mobile, nous permettant d’accéder au Web à partir de tous les terminaux connectés disponibles : téléphones, ebooks, tablettes, appareils photo, jumelles… La troisième étape que nous découvrons aujourd’hui est également étonnante. Les outils de communication de base sont désormais intégrés dans notre environnement : un bracelet, un bouton de manteau, une branche de lunette, l’habitacle de la voiture… Autant de micros et d’oreillettes toujours disponibles et permettant d’accéder à des services de communication vocale intégrant de manière centralisée et sécurisée mes agendas et autres données clés. Alors oui, si je soliloque face à un mur, ne vous étonnez pas, c’est que suis en train de parler à quelqu’un ! @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique “2020” : La fibre optique
Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est directeur marketing
et commercial de l’Idate (Institut de l’audiovisuel et des télécoms
en Europe). Rapport sur le sujet : « Connected devices »
de Frédéric Pujol et « Internet Mobile » de Vincent Bonneau