Philippe Gault, président du SIRTI : « Le CSA n’a aucun argument valable pour refuser de lancer la RNT »

Le président du Syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes (SIRTI) – représentant environ 200 membres, près de 10 millions d’auditeurs – dénonce « l’ornière dans laquelle le CSA place la RNT ». Il en appelle au lancement de la Radio Numérique pour Tous.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@: En quels termes le CSA (1)
a répondu à votre « appel » du 13 octobre où vous demandez la délivrance des autorisations de radio numérique terrestre (RNT) de 2008 à Paris, Marseille
et Nice (2) ?
Philippe Gault :
La réponse du CSA est contraire à nos attentes et à celles des radios sélectionnées qui sont prêtes à lancer sans plus attendre la Radio Numérique pour Tous. La RNT, c’est la radio numérique selon le modèle historique qui a fait le succès de la radio (3). C’est la FM en mieux. Cette RNT-là, que nous préparons depuis près de 15 ans, le CSA n’en veut curieusement pas en ce début 2012, et le régulateur privilégie une autre radio numérique, payante, qui est la négation du paysage radio français construit depuis le début des radios libres. Le CSA répond à nos demandes de délivrance des autorisations en RNT de manière dilatoire. Il nous annonce l’ajout d’une nouvelle norme (4) : il sait très bien que, ce faisant, il enterre le dossier en recréant un affrontement de spécialistes et d’ingénieurs. S’il avait procédé ainsi pour la TNT, celle-ci ne serait pas encore lancée.

EM@ : Allez-vous saisir le Conseil d’Etat ?
P. G. :
Nous étudions toutes les possibilités pour sortir de l’ornière où nous place le CSA : juridique comme le Conseil d’Etat, mais aussi le débat public en cette année propice.

EM@ : Patrice Gélinet (CSA) a dit que la RNT est la solution à la saturation de la bande FM qui fête ses 30 ans : y a-t-il divergence au CSA ? Préserve-t-on les radios nationales privées ?
P. G. : Ce qui est visible, ce sont les errements de cette autorité de régulation sur le projet de la radio numérique : elle ne parvient toujours pas à faire appliquer la loi de 2007 (5), alors qu’elle est pour beaucoup dans ses termes. Quand les groupes radiophoniques nationaux réclamaient la RNT, le CSA préparait son lancement à marche forcée. C’est de là que viennent les présélections de radios pour lesquelles nous demandons la délivrance des autorisations. Depuis que les groupes de radios nationales [Europe 1, RTL, NRJ ou encore RMC, ndlr] ont créé le Bureau de la Radio, début 2009, ils ne veulent plus de la RNT et, depuis, le CSA n’a rien fait concrètement pour la lancer. Nous sommes allés de consultations en observatoires ; le champ de l’appel aux candidatures a été ramené de
19 villes à 3 villes (Paris, Marseille, Nice). Et maintenant, on enterre les sélections effectuées, sous couvert d’une norme qui n’est pas nouvelle. Le CSA accorde le moratoire du lancement de la RNT, sans date d’échéance. Le président du CSA, Michel Boyon, n’a même pas parlé de la radio numérique lors de ses voeux 2012, alors que cette année est la dernière de son mandat, ainsi que du conseiller en charge de la RNT [Rachid Arhab, ndlr].

EM@ : Accepteriez-vous que les fréquences de la bande III soient utilisées à autre chose que la RNT ?
P. G. :
Les fréquences de la bande III et L sont planifiées en France pour les éditeurs de
la RNT. Il n’est pas question qu’elles soient confisquées pour d’autres usages. Ce sont des décisions politiques. Si nos dirigeants ne veulent plus du média radio, parce qu’il
est encore trop libre et qu’il y a à la radio encore trop d’indépendance, qu’ils le disent franchement aux Français : c’est le moment !

EM@ : Lyon expérimente depuis un an la RNT. Nantes l’expérimente depuis 2007 et, depuis fin janvier 2012, l’étend à la Loire-Atlantique. Ces expérimentations locales doivent-elles s’étendre à toute la France ?
P. G. :
Les expérimentations ou démonstrations locales sont des initiatives portées par les radios indépendantes ou associatives, ainsi que par certains diffuseurs. Les participants ont bien du mérite, car ils entreprennent à contrecourant. Bien sûr, on pourrait imaginer un scénario de débordement dans lequel une série de diffusions locales sans autorisation lanceraient en fait la RNT. Evoquer ce scénario nous ramènerait avant 1981 : à l’époque,
il n’y avait pas de liberté des ondes, pas de loi, pas d’autorité de régulation. En est-on arrivé à ce point ? Est-ce ce que souhaitent les membres du CSA qui encouragent ces expérimentations sans délivrer les autorisations dans les zones où elles sont prêtes ? Il serait si simple d’appliquer la loi, de délivrer les autorisations dans les trois zones où il y a des sélections, et de donner un signal clair selon lequel il y aura la Radio Numérique pour Tous en France.

EM@ : Pourquoi ne pas miser sur la radio sur IP (6) ?
P. G. :
La radio sur IP existe déjà, mais elle n’est pas une alternative à la radiodiffusion hertzienne : l’IP ne remplacera pas la Tour Eiffel pour diffuser la radio à Paris. Où sont les réseaux mobiles à haut débit prêts à alimenter 45 millions d’auditeurs qui écoutent la radio près de 3 heures par jour en France ? Et combien leur en coûtera-t-il ? L’IP c’est très bien, mais c’est un mode de diffusion de complément. Le modèle de la radio depuis plus d’un siècle (7) est robuste (même en situation de crise), accessible à tous ; il ne peut pas être remplacé par l’IP dont la disponibilité s’effondre notamment dès que tout le monde demande le même service, sans parler des limitations imposées par les opérateurs.

EM@ : Le CSA a publié un appel à candidatures – jusqu’au 27 février – pour la distribution de services de radio numérique ou autres (8) par voie hertzienne terrestre sur la bande L. Que répondent les radios indépendantes du Sirti ?
P. G. :
Cet appel c’est du grand n’importe quoi ! Dans un pays qui a une des offres de radios existantes les plus diversifiées au monde, et où nombre des radios existantes demandent qu’on leur délivre les autorisations pour la RNT, on prétend lancer une offre
de radio numérique payante avec quelques dizaines de radios nouvelles qui seront pour
la plupart réalisées par une société du groupe Lagardère. Voudrait-on mettre dans les mains d’un seul distributeur privé la capacité de diffusion de la radio numérique ?

EM@ : Le Sirti se dit très attaché à la gratuité du média radio et s’oppose à la RNT payante sur la bande L : pourquoi, alors que le Bureau de la Radio ne l’exclut pas ? P. G. : Le Bureau de la Radio est très discret, car son travail de sape est en fait difficile
à justifier. Des groupes qui font énormément de profit, en particulier en radio en France,
ne sont pas prêts à payer quelques millions d’euros pour un réseau de radio numérique. C’est surréaliste, car la RNT leur promet une couverture nationale, une amélioration technique réelle, des données associées, une interactivité accrue, … Mais il y a deux points qui effarouchent ces groupes. Le premier est très court terme : depuis le début
de la crise, l’activité radio doit leur produire du cash qui leur préserve leur taux de marge pour investir dans d’autres domaines (télévision, Internet, téléphonie, et à l’international). Le second point est que ces groupes ont obtenu en France de réels privilèges en fréquences FM – et un tel renforcement du déséquilibre par rapport aux radios indépendantes dans ce qu’on a appelé FM+ – qu’ils craignent que la RNT ne relance
la concurrence.

EM@ : Quel sera le modèle économique de la RNT ? Fautil privilégier le DAB+ moins coûteux ?
P. G. :
Le modèle économique est simple : il faut une volonté politique, délivrer les autorisations à Paris, Marseille et Nice, faire la promotion des récepteurs disponibles, mettre en place des aides temporaires et limitées aux PME de la radio (sans commune mesure avec ce qui est accordé à la presse ou aux institutions culturelles), et la RNT sera lancée. On peut la lancer avec la norme qui est autorisée puis en ajouter une autre demain au choix des éditeurs, à l’instar de ce que nous a montré l’histoire de la TNT. @